Institut Universitaire Elie Wiesel

Ethique du travail et morale du judaïsme-Séminaire 1

Intervenants: 
Année universitaire: 
Description: 

SÉMINAIRE 1

AURI SACRA FAMES « Exécrable faim de l’or ! » (Virgile. Enéide III.57)

La déréglementation et la libération des échanges ont « légitimé » la soif de posséder et accentué l’inégalité croissante entre pauvres et riches, en donnant la priorité au court terme. Ces dérives donnent à méditer le passage biblique : « Tu établiras sur toi un roi… seulement qu’il n’ait pas trop de chevaux et qu’il ne ramène pas le peuple en Egypte pour augmenter le nombre de ses chevaux… Qu’il n’ait pas non plus trop de femmes, ce qui pourrait égarer son coeur, et qu’il n’ait pas à l’excès argent et or » (Dt. 17.14-17).

Intervenants :

•    Hay Krief, grand Rabbin, rabbin de la Communauté de Vincennes-Saint Mandé : La faim justifie les moyens
La première fois que le Créateur s’énonce à l’égard de sa créature – l’homme, comme point d’orgue de l’œuvre divine – c’est pour lui signifier « ne mange pas… ». Plus qu’une interdiction stricto sensu, une sage invitation à se départir d’un élément déclencheur d’une potentielle servitude pour lui et l’humanité. C’est aussi une manière, semblerait-il évidente, de contrarier la première expression de sa nature profonde, par sa volonté d’absorption d’éléments exogènes qui ne manqueront pas d’entamer son immunité d’une part, pour créer sa dépendance de l’autre.
Mais l’homme, volontairement créé imparfait, pouvait-il se soustraire à cette appétence – qui selon la propre vision du monde de celui-ci – vient combler ses carences ? Réalité ou illusion.
Les conséquences avec leurs impacts respectifs de cette faim maladive, pour les générations après lui, sont prévisibles et indéniables. La Thora va en donner un récit transgénérationnel, avec ce que cela sous-tend comme conflits d’intérêts et comme conflits humains, permettant d’en diagnostiquer l’impact afin d’en extraire un mode de réparation visant à réhabiliter l’homme.

•    Pierre-Yves Gomez, Enseignant-chercheur ;  Directeur de l’Institut Français de Gouvernement des Entreprises, EM LYON Business School :
      Penser le travail :

La manière de penser le travail définit une société, une culture. Contre l’aristocratisme grec pour lequel le travail est une activité d’esclave, la société judéo-chrétienne a renouvelé sa définition en lui conférant une noblesse particulière associée à l’anthropologie qu’ elle porte : fait à l’image et à la ressemblance de Dieu, l’homme poursuit la création par la « consolidation de la création » dont il a la charge. Le judéo-christianisme a compris l’activité de travail comme un engagement pour le monde. Dans une première partie, je montrerai en référence aux textes classiques de ces traditions, l’originalité de cette représentation du travail comme facteur de liberté.
Comment celui-ci a-t-il pu être considéré comme une malédiction ou un pis-aller dans les sociétés post-religieuses modernes jusqu’à produire le rêve d’une société de rente généralisée ?  Dans une deuxième partie, je discuterai les soubassements idéologiques de la transformation du travail et du travailleur à partir du 18ème siècle en Occident. L’idéologie libérale est ambivalente puisqu’elle suggère à la fois le rôle éminent du travail pour s’émanciper de l’ordre aristocratique et en même temps, elle laisse espérer une « démocratisation » de l’oisiveté aristocratique qui serait étendue à la population tout entière. Cette tension est très vive dès la fin du 19ème siècle et contestée par l’idéologie marxiste qui récupère à son profit le discours positif sur le travailleur. L’idéal libéral, quant à lui et par contraste, cherchera à promouvoir de plus en plus une société de loisirs et de rente de masse comme signe du progrès et de la liberté de l’homme.
Dans une troisième partie, je montrerai que la promesse libérale de vivre de ses rentes faite à la masse depuis la deuxième guerre mondiale, ne tient que grâce à une organisation divisée, planifiée et étroitement contrôlée du travail. Paradoxalement donc, plus la société de loisir et de rente se développe, plus l’ordre économique impose un ordre social très strict sur le travail, de plus en plus normalisé et encadré. Ce dernier n’est vu que par exception comme un moyen d’émancipation et un lieu de responsabilité à l’égard du monde, et toujours davantage, une « malédiction » obligeant à « gagner son pain à la sueur de son front » dans un système complexe et anonyme dont le travailleur n’est qu’un élément interchangeable. Une discussion de la manière très significative dont la référence biblique a été détournée pour lui faire dire l’inverse de son sens initial terminera cette réflexion sur le renversement de perspective au sujet du travail.
Il nous reviendra de conclure ensemble, dans le débat, en quoi les traditions philosophiques et religieuses sont de nouveau invitées à féconder la pensée occidentale en lui permettant de penser le travail comme l’un des moyens les plus éminents de l’humanisation.

 

Informations complémentaires: 
Date(s): 
Mardi, 11 Février, 2014 - 19:00
Référence:
S13-4
10,00 €
Prix étudiant: 
5,00 €