Institut Universitaire Elie Wiesel

Penser le judaïsme aujourd’hui

Penser le judaïsme aujourd’hui

Perrine Simon-Nahum inaugure les Lundis de Wiesel : « Comment être juif en France ? »

La nouvelle saison des Lundis de Wiesel s’est ouverte le lundi 15 septembre dernier sous le signe de l’intensité intellectuelle et de la réflexion. Invitée, la philosophe et historienne Perrine Simon-Nahum a proposé une conférence d’une grande audace sur le thème « Comment être juif en France ? ». S’inspirant d’une réponse de Levinas à Sartre, l’intellectuelle a montré que ce questionnement dépasse le seul judaïsme : il éclaire les défis de notre temps et engage, bien au-delà des Juifs, l’avenir même des démocraties.

Trois temps forts ont rythmé cette conférence, dont voici les grandes lignes.

 

I.L’émergence d’un « antisémitisme géopolitique »

En ouverture, l’oratrice a analysé l’originalité de l’antisémitisme contemporain, qu’elle qualifie de « géopolitique ». Celui-ci s’inscrit dans un contexte de fin de cycle marqué par la remise en cause de l’Occident et du modèle démocratique. Les Juifs, a-t-elle souligné, en deviennent la cible privilégiée, à travers une hystérie collective relayée par les réseaux sociaux.

La directrice de recherche au CNRS a rappelé l’obsession singulière pour le conflit israélo-palestinien, au détriment d’autres tragédies du monde (Congo, Rwanda, Ouïghours, Ukraine). Plus qu’un simple biais, il s’agit d’un transfert symbolique où la figure du Palestinien remplace celle du Juif persécuté. Depuis les attentats de Munich en 1972, un imaginaire s’est imposé : israélien = juif = nazi. Les Juifs deviennent une entité globale fédérant une haine mondiale, renforcée après le 7 octobre 2023.

II.L’idéologie islamiste et le désarroi de l’Occident

Dans un second temps, Perrine Simon-Nahum a mis en lumière la rencontre entre le refoulé occidental et l’islam politique. À travers des mythes puissants – l’enfant martyr, la famine, le génocide – l’idéologie islamiste façonne un récit qui inverse les responsabilités et diabolise les Juifs.

Ces récits mobilisent les consciences en les enfermant dans une logique accusatoire : Israël et les Juifs deviennent l’ennemi absolu, accusés des pires crimes. Mais cette construction condamne tout autant les Palestiniens eux-mêmes, pris au piège d’un discours anhistorique. La philosophe a montré que cet antisémitisme géopolitique se superpose à une guerre idéologique globale, où l’Occident, en cédant à l’aveuglement, met en danger ses propres fondements.

Rappelant Hannah Arendt, elle a insisté : l’État reste la seule structure capable de garantir la légitimité des peuples et la sécurité des individus. L’existence des Juifs engage ainsi celle de nos sociétés démocratiques.

III.La Diaspora comme voie d’avenir

Enfin, la conférencière a proposé de revaloriser le rôle de la Diaspora juive. Revenant à Levinas, elle a souligné que l’« être juif » ne peut se définir qu’à partir de conditions objectives. Si la création de l’État d’Israël avait relégué la Diaspora au second plan, les événements récents l’invitent à se repenser.

La Diaspora, porteuse de valeurs universalistes et humanistes, doit retrouver ses lettres de noblesse et contribuer à la survie du judaïsme en Occident. L’État d’Israël, de son côté, est invité à reconsidérer son rapport à cette dimension essentielle du peuple juif.

En conjuguant une analyse politique rigoureuse, une lecture philosophique exigeante et une réflexion d’actualité brûlante, Perrine Simon-Nahum a offert une conférence d’une rare intensité. Plus qu’un lancement réussi, cette soirée inaugurale des Lundis de Wiesel a été un moment de clarté et d’audace intellectuelle. Elle a rappelé avec force que la condition faite aux Juifs est indissociable de l’avenir de nos démocraties, et que penser le judaïsme aujourd’hui, c’est aussi penser l’humanité tout entière.

Par Sandrine Szwarc

L’enregistrement de la conférence est disponible en replay :
bit.ly/Lundi_Wiesel_2025-2026