Institut Universitaire Elie Wiesel

Compte-rendu Séminaire Judaïsme et Christianisme 2014-2015 - Séance N°5

Département Judaïsme et Christianisme Séminaire 2014 – 2016

« Masculin et Féminin dans les civilisations du Livre»

Séance du jeudi 21 mai 2015»  : «Hommes et femmes face à la loi juive (Halakhah) : égalité, différence ou discrimination»

Intervenante : Professeur Liliane Vana

Compte rendu : Maryel Taillot

 

« Hommes et femmes face à la loi juive (Halakhah) :
Égalité, différence ou discrimination ?»

Franklin Rausky, directeur des études à l’Institut universitaire des études juives Élie Wiesel et co-directeur du département Judaïsme et Christianisme au Collège des Bernardins, présente le Professeur Liliane Vana, spécialiste en droit hébraïque, talmudiste, philologue et professeur à l’Institut d’études juives Élie Wiesel et à l’Université Libre de Bruxelles.
En préambule à son exposé, le Pr Liliane Vana précise que celui-ci se présente, bien entendu, sous forme orale mais qu’il ne s’agit pas d’un texte qu’elle va lire, non plus d’un discours, mais qu’elle va s’exprimer librement en accompagnant sa conférence d’une présentation par fichier Power Point. Ce qui explique certaines tournures « verbales » de ce résumé.
Elle ajoute que son exposé porte sur la Halakhah et uniquement sur la Halakhah, c’est-à-dire qu’elle n’abordera le sujet que d’un point de vue de la loi juive. Afin de permettre d’accéder à une meilleure compréhension de son approche, elle fait quelques remarques méthodologiques :
? Tout d’abord, elle appelle l’attention des participants sur le fait que lorsqu’on aborde le judaïsme, il faut avoir présent à l’esprit un certain nombre d’éléments qui sont la condition « sine quoi non » pour mener à bien une réflexion sur quel que sujet que ce soit. Elle ajoute qu’il existe plusieurs courants du judaïsme mais qu’au cours de cet exposé, il ne sera question que du judaïsme rabbinique orthodoxe fondé sur la loi orale et la loi écrite. Le passage de la loi orale à l’écrit a, d’ailleurs, posé beaucoup de problèmes et a donné lieu à une Guemara, à l’origine du Talmud de Babylone et de Jérusalem.
Le judaïsme est fondé sur ces corpus, ainsi que sur les codes de Loi de Maïmonide, du R. Joseph Karo et de leurs successeurs, et sur les Responsa rédigés au fil des siècles.
? L’autre aspect à prendre en compte est la distinction à opérer dans la littérature rabbinique, en général, entre Halakhah et ‘Aggadah :
- la Halakhah, c’est la Loi qui s’impose à tous ;

- alors que la ‘Aggadah, c’est tout ce qui n’est pas la Loi, c’est-à-dire les récits narratifs, théoriques, philosophiques, interprétatifs, croyances, etc…
Ce sont deux grands genres littéraires qui sont malheureusement trop souvent confondus, ce qui brouille le message et la réflexion sur l’analyse des sujets.
? Puis, elle souligne le fait que son exposé se situe dans le courant orthodoxe du judaïsme rabbinique et non dans le courant Libéral, Conservative ou autre. Elle met l’accent sur ce point dans la mesure où selon les courants, les approches ne sont pas les mêmes.
? Enfin, elle insiste tout particulièrement sur le fait que son analyse ne relève absolument pas d’un point de vue féministe malgré les exemples donnés qui pourraient induire une vision différente.
En effet, la Halakhah répond très précisément à toutes questions et la réponse apportée par la Halakhah sur un sujet donné ne peut être perçu de manière générale. La loi débat de chaque question de manière spécifique et très pointue, un même sujet pouvant être examiné sous plusieurs angles :
- de la vie privée, de la vie publique, de la liturgie, des fonctions synagogales des hommes et des femmes, des fonctions non synagogales des hommes et des femmes, des fonctions communautaires, des fonctions publiques, du mariage, du divorce, etc…
Le champ d’investigation est donc extrêmement vaste et tous les aspects de notre sujet ne pourront évidemment pas être traités. Aussi, le Pr Liliane Vana précise qu’elle a choisi de traiter quelques domaines à travers lesquels elle va essayer d’analyser le sujet proposé, c’est-à-dire hommes et femmes face à la Halakhah. Les domaines sont les suivants :
- le couple, l’égalité homme/femme, l’espace liturgique et synagogal, les fonctions communautaires et les fonctions religieuses.

I.- Le couple et l’égalité homme/femme

     1.-1.- Le premier couple « le ‘adam »

Le premier « couple » évoqué dans la Torah, est le « couple » du premier ‘adam, du premier Être humain. Le Pr Liliane Vana observe qu’elle n’a pas parlé de « premier homme ». Dans Genèse I, 27, 28, le texte hébreu dit

«Elohim créa l’être humain, (le ‘adam1), a son image, à l’image d’Elohim, il le créa.
Mâle et femelle il les créa.
Elohim les bénit et Elohim leur dit : « fructifiez et multipliez vous, remplissez la Terre et faites en la conquête, ayez autorité sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, sur tout vivant qui remue sur la Terre…… » (La traduction est celle du Pr Liliane Vana).

Un « Être humain », un « ‘adam » composé de deux identités mâle et femelle. Le Pr Liliane Vana rappelle qu’en hébreu « ‘adam » est un terme neutre désignant « l’Être humain » sans référence aucune à son genre.

Par contre, en Genèse II, 7sq qui est plus problématique, on retrouve un vocabulaire intéressant pour notre sujet :

« YHWH-Elohim façonna « l’Être humain » [le ‘adam]…… »
l’Être humain [le ‘adam] dit : [….] celle-ci sera appelée « Ishah» [femme],
car c’est de « ‘Ish » [homme], qu’elle fut prise…. ».

Or, c’est la première fois que le terme « Ish », « homme », apparaît dans le texte.

De fait, il faut comprendre différemment ce que nos théologiens respectifs racontent, c’est à dire que la femme aurait été prise de la côte de l’homme. Le Pr Liliane Vana s’arrête avec insistance sur le point particulier, car il s’agit de la création de l’Être humain et non de l’homme ou de la femme dans les deux récits.

Ce point est particulièrement dirimant et Le Talmud qui a saisi cette importance pose la question : « pourquoi l’Être humain a t-il été créé Un ?». Pourquoi -alors que les animaux ont tous été créés mâle et femelle- le ‘adam a t-il été créé Un ? Parmi les réponses proposées par le Talmud dans le traité Sanhédrin, le Pr Liliane Vana retient la suivante : « afin que nul ne puisse dire : mon père est plus important que ton père, mon père est plus grand que le tien ». Il y a une volonté dans le projet divin, dès le départ, de fonder, d’établir une égalité non seulement entre homme et femme, mais entre tous les êtres humains de la Création : Ceci constitue un point extrêmement fort et important dans les sources bibliques.
Dieu a créé un seul Être humain et pas deux, qui est à la fois homme et femme, et contient toutes les identités, races, ethnies, etc….

Partant de là, le Pr Liliane Vana revient à Genèse I et au verset qui suit la création du premier ‘adam, et qui dit « …et Élohim les bénit » ; il bénit les deux, le mâle et la femelle, et il leur donne un ordre, le même ordre « croître et multiplier », « soumettre la terre », etc… l’ordre est donné au pluriel et s’adresse tant au mâle qu’à la femelle.

Or, cet ordre sera déformé par la loi rabbinique. Malgré la clarté du texte biblique où l’ordre de « croître et de multiplier » est donné aux deux, au mâle et à la femelle, la loi rabbinique considère que seuls les hommes ont l’obligation de procréer. Les femmes sont dispensées de l’observance de ce commandement. Cette décision aura des conséquences graves sur le statut des femmes.

     1.-2.- La procréation

Le Pr Liliane Vana rappelle que dans le judaïsme tout est loi. C’est la règle, la norme qui va gérer les individus du peuple d’Israël. Or, la Loi, la loi rabbinique, la loi juive depuis l’époque talmudique jusqu’à nos jours - malgré l’ordre de « croître et multiplier » qui est au pluriel - dispense les femmes de la miçwah, du commandement de procréation. Les femmes n’ont pas l’obligation religieuse de procréer.
La question est de savoir ce que génère une telle dispense ?
La dispense d’observer une loi n’est pas nécessairement une bonne chose. Parfois, elle peut l’être, comme par exemple dans le cas d’une personne qui est dispensée de passer un contrôle à l’université le jour où elle est malade. On tient compte de son état de santé et la date de l’examen est reportée. Mais il y a des dispenses qui génèrent des différences entre les individus, voire des discriminations. Dans le cas de la procréation, on est dans la discrimination et le Pr Vana de le démontrer.

Selon la Loi, si un homme épouse une femme stérile, il a l’obligation de la répudier si au bout de dix ans elle ne lui a pas donné d’enfants, sa stérilité l’empêchant d’accomplir la miçwah, le commandement de procréation.

A l’inverse, lorsqu’une femme est fertile alors que son époux est stérile, la stérilité de ce dernier ne constitue pas un motif de divorce, de séparation, la femme n’étant pas tenue d’avoir des enfants. Il se pourrait que le mari soit compréhensif et accepte de lui donner le « guett » afin de lui permettre de refaire sa vie et d’avoir des enfants. Mais la situation est laissée à l’appréciation du mari. Sans le consentement du mari, la femme ne pourra pas reprendre sa liberté. C’est donc une situation défavorable pour les femmes dans la mesure où ce que nous appelons aujourd’hui, « le désir d’enfant » n’est pas un paramètre qui entre en jeu. Toutefois, il est vrai que certains décisionnaires de la Loi juive vont en tenir compte, mais ils ne sont pas tenus de le faire, ne s’agissant pas d’un fondement de la Loi.

 1.-3.- Le « Guett » ou le « libelle de répudiation»

Le Pr Liliane vana aborde maintenant la question de la séparation dans le couple. Elle précise qu’elle n’utilise plus aujourd’hui la locution « divorce juif », celle-ci étant erronée puisqu’il n’y a pas de divorce dans le judaïsme. Seule existe la répudiation, ce qui implique une différence fondamentale de statut entre hommes et femmes.

D’un point de vue juridique, la différence entre divorce et répudiation est considérable. Le divorce est le résultat d’une procédure introduite par un couple devant une instance, en général un tribunal, devant lequel l’homme et la femme se présentent en situation d’égalité. Ensuite, il appartient au tribunal de prononcer le divorce, c’est-à-dire la séparation du couple et la dissolution du régime matrimonial. Dans cette situation, le tribunal représente une instance objective et extérieure au couple.

Comme le divorce n’existe pas dans le judaïsme, aucun tribunal juif, rabbinique, orthodoxe au monde, ne peut prononcer un divorce. Seule l’émission du Guett que l’homme délivre à son épouse peut rompre le lien matrimonial. Bien entendu, la femme peut le refuser mais cela serait contraire à ses intérêts. Le Guett est laissé à l’entière discrétion de l’homme qui peut refuser de le donner ce qui constitue un des problèmes majeurs du judaïsme orthodoxe aujourd’hui. Quant à la femme, la loi ne lui reconnaît pas la possibilité de donner le Guett à un homme. Elle dépend donc entièrement de ce dernier.
En conséquence, si l’on relie ces conditions à la question de la procréation, la femme en désir d’enfant dont l’époux est stérile, se retrouve «prisonnière » de son statut d’épouse, elle ne peut pas se séparer de son marin, et n’a aucun recours pour se séparer de lui en cas de refus de celui-ci de lui accorder le Guett.
Voilà un cas précis où la dispense des femmes de l’observance de certains commandements –en l’espèce, celui de l’obligation de procréer- entraîne des conséquences graves qui portent atteinte au statut des femmes en limitant leurs droits.

La non remise du Guett ou le refus de l’époux de remettre le Guett à son épouse est préjudiciable à la femme en aucun cas à l’homme :

? L’interdiction du remariage pour la femme, celle-ci étant déjà mariée, mais cette interdiction ne vaut pas pour l’homme qui pourra, lui, se remarier ; l’homme détruit ainsi la vie de son épouse et l’empêche de refaire sa vie ;
? L’interdiction du concubinage pour la femme, mais cette interdiction ne vaut pas pour l’homme qui pourra vivre avec une autre femme sans toutefois se séparer légalement de son épouse ;

? La prise en otage du corps de la femme, car tant que cette dernière n’est pas séparée de son époux, elle ne peut pas avoir de relations amicales, intimes, sexuelles avec un autre homme. Ceci lui est strictement interdit. Le corps de la femme « appartient » à son mari et, tant que ce dernier ne l’a pas libérée du lien matrimonial qui les unit, la femme ne peut pas disposer de son propre corps.
? La femme peut, certes, se remarier civilement, vivre en concubinage avec un autre homme et passer outre à la loi juive. Dans ce cas les conséquences seront néfastes pour la femme et son nouveau compagnon :

1. Ils seront tous les deux considérés adultères. Il leur sera interdit de poursuivre leur relation et ils ne pourront jamais légaliser leur union par un mariage religieux même après la remise du guett ;
2. Les enfants nés de cette nouvelle liaison auront le statut de « mamzer ». Ils seront considérés comme juifs à part entière mais avec un empêchement majeur : ils ne pourront se marier religieusement qu’avec des personnes partageant leur même statut de « mamzer » ou avec des personnes converties au judaïsme ;
3. Par contre, le mari dans la même situation, sa nouvelle compagne et les enfants nés de cette nouvelle union ne subiront aucun préjudice.
Lorsque l’homme refuse la remise du « libelle de répudiation », le tribunal rabbinique ne peut évidemment pas prononcer un divorce car ainsi qu’il a été précisé, celui-ci n’existe pas dans la loi juive. En revanche, le tribunal rabbinique est parfaitement habilité à prononcer « l’annulation rétroactive du mariage ». Cette solution est prévue dans les textes et constitue -depuis l’époque talmudique jusqu’à nos jours– une solution halakhique possible.
A l’heure actuelle, le nombre de femmes dans cette situation tend à augmenter ainsi que le nombre d’enfants nés sous le statut de « mamzer ».

II.- L’espace liturgique et synagogal

L’espace liturgique ne correspond pas qu’au seul espace synagogal. En effet, l’office religieux, les prières quotidiennes, peuvent également être organisés dans un lieu privé comme une maison, un appartement voire même dans un local loué.

2-1.- La prière publique et la question du Mynian (quorum de 10 hommes)

Les femmes et les hommes sont tenus de faire les prières quotidiennes. Mais les femmes ont l’obligation de faire une « prière privée » (tefillat yahid), alors que les hommes ont le choix entre « prière privée » et « prière publique » (tefillat be-çibbur). C’est la présence d’un quorum de 10 hommes (mynian) lors de la prière que l’on désigne par cette dernière expression. Or, les femmes ne comptent pas dans un tel quorum. Ceci a pour conséquence qu’en l’absence de 10 hommes, la prière sera « privée » et non « publique », même si 10 femmes étaient présentes.
Or la « prière publique » est plus importante que la « prière privée » et il y a certains actes religieux qu’on ne saurait accomplir en l’absence d’un mynian d’hommes.

2-2.- La lecture publique de la Torah
La lecture de la Torah s’inscrit dans l’Office de prière mais obéit à des règles halakhiques différentes. D’après le Talmud et la Halakhah rabbinique, les femmes sont habilitées à monter à la Torah et à lire la Torah. Hommes et femmes sont donc égaux face à cette loi. Néanmoins, les femmes ont été écartées de cette lecture publique de la Torah. Dans ce cas précis, il ne s’agit plus de dispense ou d’interdiction mais d’exclusion de facto des femmes. En effet, en l’espèce, la loi est égalitaire mais la pratique sociologique ne l’est pas et a conduit à l’exclusion des femmes.
Sur ce point, il est fondamental d’opérer une distinction entre ce qui est la règle de droit –la Halakhah, la Loi- et ce qui se passe sur le terrain. En effet, il s’avère que, souvent, la Loi est plus égalitaire que ne le sont les êtres humains dans leur fonctionnement de tous les jours.
En effet, il existe des lois qui n’ont pas été modifiées ni abrogées. Elles perdurent de jure, elles sont toujours en vigueur : c’est le cas de la lecture de la Torah par les femmes. Les femmes peuvent monter à la Torah et compter dans le minyan, pas dans celui des 10 hommes requis pour la « prière publique », mais dans le quorum des personnes qui peuvent monter à la Torah (qui est au nombre de sept). Ceci signifie qu’une femme est habilitée à se placer devant le pupitre et à lire dans le parchemin synagogal de la Torah afin que le public, masculin et féminin, écoute et soit ainsi quitte de cette obligation.
Néanmoins pendant longtemps, on a préféré ignorer que les femmes étaient habilitées à lire la Torah conformément aux sources talmudiques et rabbiniques.
La lecture de la Torah par les femmes a été « réactivée » au XXème siècle aux États-Unis dans les années 1980.
Une décennie ou deux plus tard, des femmes en Israël et en Grande Bretagne, ont commencé à procéder à des lectures publiques de la Torah. Il est à noter que le nombre de lectures de la Torah par des femmes orthodoxes ne cesse de se multiplier.
En France, en 2012, le Pr Liliane Vana a initié cette lecture publique conformément à la Halakhah orthodoxe et, depuis, six lectures ont été organisées. Elle prépare actuellement la septième qui aura lieu le samedi 6 juin 2015. A cette occasion, une fille célèbrera sa bat-miçwah en lisant la section hebdomadaire (be-ha’alotekh) dans le livre des Nombres, chapitres 8 à 13 avec la cantilation traditionnelle.
L’accueil a été très chaleureux et les réactions enthousiastes, au début. Par la suite, certaines personnes ont manifesté leur réticence et d’autres, leur opposition (c’est le cas de Gugenheim Michel, Grand Rabbin de Paris) face à cette initiative y voyant une sorte de « révolution ». Le Pr Liliane Vana s’empresse de préciser que pour sa part elle n’y a pas vue de révolution, intervenant après celles qui l’ont précédée depuis trente ans aux États-Unis et en Israël, mais elle note que le public y a répondu de manière très favorable et est venu en grand nombre (280 personnes ont assisté à la dernière lecture lors de la fête de Purim).

 2-3.- La Derashah (commentaire fait dans un cadre liturgique) et la prise de parole par les femmes en public
Le plus souvent la prise de parole à la synagogue appartient au rabbin pour commenter la péricope hebdomadaire de la Torah. Or, cette prise de parole n’est pas la prérogative du rabbin même si l’on peut considérer qu’elle puisse faire partie de ses fonctions.

Selon la Loi, le rabbin n’est pas le seul à pouvoir faire ce genre de commentaires, n’importe quel fidèle peut le faire, y compris les femmes. Dans l’approche orthodoxe, les femmes sont empêchées injustement de prendre la parole en public ou de prononcer un discours dans le cadre synagogal. La Loi le permet mais le fonctionnement sociologique « ne l’autorise pas ». Elles sont donc, de fait, exclues, non par le judaïsme, non par la Loi juive, mais par le comportement sexiste des hommes juifs, en l’espèce.

III.- Les fonctions communautaires

De par la Loi, les femmes sont autorisées à occuper des fonctions communautaires mais, de facto, elles en sont exclues. A nouveau, il y a un écart considérable entre la règle de droit et le fonctionnement des communautés juives.

 3-1.- Stratégies d’exclusion des femmes des fonctions communautaires

L’exclusion des femmes est due à un certain nombre de facteurs dont la règle les dispensant de l’accomplissement de certains commandements. En effet, lorsque les femmes sont dispensées d’observer des commandements, la conséquence ne se limite pas à la liberté « de faire » ou « de ne pas faire ». Elle est liée à la « catégorie » des commandements et le Pr Liliane Vana s’en explique : les commandements sont classés, notamment, dans le Traité Qiddushin en quatre catégories : positifs, négatifs, liés au temps, non liés au temps.

 L’observance des commandements dits « négatifs », c’est-à-dire comportant la formule « ne pas faire », comme par exemple « ne tue pas », « ne vole pas », etc…, qu’ils soient liés au temps ou non incombent aussi bien aux femmes qu’aux hommes, sans distinction aucune ;

 En revanche, l’observance des commandements dits « positifs », à savoir, qui sont formulés avec l’injonction « de faire », ne s’impose pas de la même manière aux hommes et aux femmes. Si les commandements sont liés au temps, les femmes en sont dispensées, mais s’ils ne sont pas liés au temps, les femmes ont l’obligation de les observer. Quant aux hommes, ils sont tenus d’observer les deux catégories.

La formule « commandement lié au temps » pouvant paraître un peu complexe le Pr Liliane Vana, donne quelques exemples :
- Donner l’aumône est une action qui n’emporte pas de relation avec le temps : on peut donner l’aumône, le matin, le midi ou le soir, ou même le lendemain, cela n’a pas d’importance ;
-En revanche, pour mettre les « téfillins », la relation avec le temps est très importante : le créneau horaire doit être respecté, les téfillins ne sont portés que le matin, et non le soir ou la nuit. En outre, si l’homme n’accomplit pas le commandement lié au temps dans le délai imparti, il aura manqué à son devoir religieux et cet acte n’est pas rattrapable.
Questionner un rabbin sur les commandements positifs liés au temps, celui-ci répondra toujours que les femmes sont dispensées d’observer les commandements positifs liés au temps, et que cette dispense relève d’une règle absolue. Or, telle n’est pas le cas. En voici un exemple : l’étude de la Torah est un commandement positif qui n’est pas liée au temps et pourtant les femmes en sont dispensées.

 3-2.- L’exclusion des femmes de l’étude de la Torah et leur combat depuis 1980

Depuis 1980, on peut noter une grande exigence de la part des femmes de faire valoir leur droit à l’étude de la Torah. Il ne faut cependant pas imaginer que les femmes étaient ignorantes de la Torah. Dans toutes

les communautés, les femmes recevaient un enseignement de la Torah dont le niveau était plus ou moins élevé selon la communauté.
En revanche, les femmes ont été totalement exclues de l’étude de la Loi orale, du Talmud et de la Halakhah ainsi que des Responsa. Elles ont été cantonnées à l’étude des règles pratiques et nécessaires dans la vie quotidienne de tout juif. Or le judaïsme ne se limite pas à cela. Le judaïsme c’est également l’étude, la connaissance, l’élaboration de nouvelles idées, règles etc…
Les femmes ont été exclues de toute étude purement intellectuelle. Privées de ce type d’étude, du savoir profond, elles ignorent tout de leurs droits.
A la mise à l’écart des femmes de l’étude est parfois associée une volonté dictée par des choix sexistes de les exclure de ce genre d’activités intellectuelles.
Depuis les années 1980, beaucoup de midrashot (écoles talmudiques pour filles) ont été ouvertes. Une midrashah pourrait être assimilée à une yeshiva bien qu’elle ne fonctionne pas de la même manière que cette dernière. Depuis quelques décennies de plus en plus de lieux d’étude ont été ouverts permettant aux femmes de se former. Il demeure, cependant, un problème de taille qui est celui du niveau d’étude des femmes. En effet, les femmes souffrent d’une dizaine, voire une quinzaine d’années de retard sur les hommes. Cette situation est due principalement à la non mixité dans l’école juive et dans l’école du Talmud Torah du dimanche. Les filles n’y reçoivent pas le même enseignement et ne bénéficient pas de l’étude des mêmes sujets ni des mêmes textes que les garçons…. Dans ces conditions, lorsque les filles arrivent dans un établissement de haut niveau, elles accusent un retard par rapport aux garçons qu’il leur faut rattraper au mieux et rapidement
A cela vient s’ajouter un enseignement spécifique concernant les prétendus « rôles » respectifs de l’homme et de la femme que l’on pourrait d’ailleurs rencontrer en milieu non-juif ou non-religieux : la femme devant s’occuper des enfants et l’homme devant ramener l’argent à la maison…..
Aucune loi juive n’impose cette différence entre hommes et femmes, le rôle de chacun relève des choix de nos sociétés et de questions sociologiques. Aucune loi ne dit qu’il incombe aux femmes de faire la cuisine, de s’occuper des enfants…. D’autant que –ainsi qu’il a été précisé plus haut- les femmes sont dispensées du commandement de procréation. En conséquence, les femmes font des enfants et s’en occupent… pour les hommes, non pour elles-mêmes...
Ce sont les discours rabbiniques qui font l’objet de la critique du Pr Liliane Vana car les situations ainsi créées proviennent de l’application de règles sociologiques et n’ont rien à voir avec le judaïsme puisque la Torah n’impose rien de la sorte. Il s’agit tout simplement d’un discours véhiculé par des hommes religieux et qui est devenu une évidence alors qu’il ne repose sur aucun fondement halakhique, aucun fondement judaïque.

 3-3 Exclusion des femmes des fonctions et métiers permis par la Halakhah

Les femmes peuvent occuper des fonctions communautaires comme par exemple : siéger dans une commission administrative qui gère le fonctionnement de la communauté. C’est une fonction laïque qui n’a donc rien de religieux puisqu’il s’agit d’une instance purement administrative. Or, on compte très peu de présidentes de communautés juives en France dont le nombre s’écrirait avec un seul chiffre.

Selon la Loi, la halakhah, les femmes peuvent exercer le métier de « mohélète », c’est-à-dire accomplir une circoncision (berit milah). Aujourd’hui de nombreux péritomistes sont également médecins. Pourquoi refuser aux femmes, ou aux femmes médecins d’accomplir la berit milah, la circoncision ? Il leur est opposé qu’une mère ne peut accomplir cet acte sur son fils, mais le père l’accomplit….
Les femmes peuvent être « sandaqit », c’est-à-dire tenir le bébé pendant la circoncision. Le Pr Liliane Vana rend hommage à un grand historien Abraham Grossmann qui a démontré, documents à l’appui, qu’à l’époque du Moyen Âge, en Europe, des femmes tenaient le rôle de sandaqit, c’est-à-dire, tenir l’enfant sur les genoux pendant la circoncision. Puis, petit à petit les femmes se sont trouvées exclues de cet honneur.
De par la Loi, elles peuvent aussi exercer la fonction de surveillante de la Kashrute dans les restaurants kashers, dans les cuisines de traiteurs, etc…. Mais, il n’y a, actuellement, aucune femme en France surveillante dans les restaurants kashers. En Israël, des femmes ont déposé un recours auprès de la Cour Suprême de l’État étant donné le refus qui leur était opposé par le rabbinat de tenir un poste de surveillante dans les restaurants kashers. Elles ont obtenu gain de cause.

IV.- Des avancées importantes mais timides

Depuis quelques années on peut noter des avancées même si celles-ci demeurent encore timides et critiquées. Il existe actuellement des femmes rabbins dans le courant orthodoxe, notamment, à New York, au Canada et en Israël bien qu’officiellement le nom de rabbin leur soit refusé alors que ces femmes ont fait les mêmes études que les hommes et ont reçu la même ordination…..
A noter qu’en Israël, à Beth Morasha, on forme actuellement des femmes pour être rabbins mais pour le moment, elles ne peuvent pas postuler au rabbinat.
En Israël, actuellement, des femmes poseqot Halakhah dont deux commencent à être très connues eu égard à leurs très grandes compétences et, notamment, leurs profondes connaissances de la halakhah : il s’agit d’Édith Bartov et de Malka Puterkovski et bien qu’elles aient les compétences et qu’elles aient été ordonnées, on leur refuse le titre de rabbin et un poste au rabbinat.
En conclusion, il y a des femmes spécialistes de la Halakhah et décisionnaires dans ce domaine (poseqot h
Halakhah), des femmes rabbins et des femmes conseillères en Halakhah (yo’açot Halahkah) qui s’occupent exclusivement des règles de pureté. Ce point est particulièrement intéressant car il y a encore deux décennies, lorsqu’une femme avait un problème d’identification du type d’impureté suite à ses règles ou à son accouchement, elle devait s’adresser à un homme spécialiste de la Halakhah et lui décrire ses symptômes….. Maintenant, des femmes peuvent remplir ce rôle ce qui prouve une réelle avancée bien qu’il y ait encore quelques sursauts de mécontentement à voir des femmes assumer ce rôle.
Bien que timides, ces avancées sont critiquées par une partie du monde rabbinique orthodoxe masculin qui demeure hostile à tout changement. Toutefois, en Israël une grande nouveauté a eu lieu depuis quelques mois, puisque le grand rabbin Riskin à Efrat, a nommé une femme, le Dr Jennie Rosenfeld (Ph.D.), à une responsabilité communautaire, comme étant son bras droit.

V.- Une grande nouveauté depuis 2014

En 2014, un autre événement important s’est produit : un cursus de formation à la fonction de juge rabbinique a été ouvert aux femmes en Israël. Ce qui peut laisser supposer que dans quelques années, des femmes seront titulaires du diplôme de juge rabbinique (dayyan, fém. dayyanit) et pourront siéger dans un tribunal rabbinique.
Normalement dans un tribunal rabbinique siège un juge. Or, de facto, on peut parfaitement désigner par l’expression « tribunal rabbinique », trois simples rabbins qui se sont constitués en tribunal, sans toutefois être titulaire du diplôme de dayyan, de juge rabbinique. Certes, ces rabbins ne pourront pas prendre des décisions dans tous les domaines de la vie juive mais ils le peuvent dans de petites communautés. L’emploi de l’expression « tribunal rabbinique » requiert donc beaucoup de prudence. Il convient, en effet, de s’interroger et de vérifier si le tribunal auquel on se réfère ou dont on parle est constitué de juges rabbiniques ou de simples rabbins, fussent-ils grands rabbins.
Actuellement, le tribunal rabbinique du Consistoire de Paris ne dispose d’aucun juge rabbinique et ce, depuis le départ du rabbin et dayyan, Yirmiyahu Cohen, il y a un an et demi.
Il y a aussi des femmes avocates rabbiniques qui accompagnent les femmes devant les tribunaux rabbiniques pour assurer leur défense. Jusqu’à présent, une femme « requérante » était seule face aux hommes composant le tribunal rabbinique, celui-ci n’étant composé que d’hommes.
Cette fonction a été ouverte aux femmes en Israël suite à un difficile combat mené par une femme, il y a maintenant quelques décennies, pour être nommé to’enet rabbanit devant les tribunaux rabbiniques. De même, en Israël, une autre femme a mené elle aussi, un combat afin de pouvoir siéger comme membre de la commission municipale aux affaires religieuses (ha-mo’açah ha-datit). Ce combat mené par ces deux femmes a duré des années et les a conduites devant la Cour Suprême de l’État d’Israël qui leur a donné raison. Depuis, les femmes peuvent siéger dans les commissions municipales aux affaires religieuses (ha-mo’açah ha-datit), et être accompagnatrices des femmes devant les tribunaux rabbiniques (to’anot rabbaniyot).

VI.- Les régressions

Dans les années 20 du siècle précédent, la question du vote des femmes au suffrage universel était dans l’air du temps en Europe où certains états l’avaient déjà accordé. Or, selon la loi juive, on est tenu de respecter la loi du pays, sans toutefois contrevenir à la loi juive. Pour les Juifs (religieux), la question était de savoir si le vote des femmes était en conformité avec la loi juive. Cette problématique est à l’origine de la question qui a été posée aux deux grands décisionnaires de l’époque : le rav Kook et le rav Uzziel.
Dans les années 1920, une très grande figure du rabbinat, un grand halakhiste malheureusement oubliée, le rav Ben Zion Hay Uzziel, premier grand rabbin sépharade de l’État d’Israël, a rendu un responsum favorable au droit de vote des femmes, suite à un refus opposé par le rav Kook. Le rav Uzziel a démonté tous les arguments avancés par le rav Kook contre le droit de vote des femmes. Sa décision tout à fait conforme à la Halakhah, a été acceptée par une partie du monde orthodoxe, l’autre partie l’a acceptée quelques années plus tard.

Si la décision du rav Kook avait été suivie, les femmes n’auraient pas pu aller voter. La question du vote est important car qui peut élire peut être élue. Or, le rav Kook ne souhaitait pas voir des femmes élues. Être élue signifie avoir une position de responsabilité, de décisionnaire, de siéger avec des hommes dans des instances décisionnaires, etc… et donc modifier la structure de la société.
C’est donc grâce au grand rabbin sépharade Ben Zion Hay Uzziel, que les femmes juives peuvent élire et être aussi élues non seulement conformément à la loi civile mais également conformément à la Halakhah et ce, avant leurs soeurs en Europe. Mais depuis quelques années on remarque une régression dans ce domaine :
- Dans la perspective des dernières élections du mois de mars2015 à la Knesset en Israël, les partis religieux radicaux ont interdit aux femmes de se présenter sur une liste électorale. Ils leur ont permis d’aller voter car les en empêcher ne serait pas, aujourd’hui, « politiquement correct » ; mais on leur a interdit de porter leur candidature sur une liste électorale, d’être éventuellement élues et occuper des postes de décisionnaires, des postes représentatifs, etc…..
Néanmoins, des femmes appartenant à ces mêmes milieux ont décidé de créer un parti politique et de se porter candidates sur une liste électorale existante, passant outre à cette interdiction. Immédiatement, le leadership orthodoxe radical les a fustigé et leur a interdit de prendre de telles initiatives, les menaçant de les bannir de leur communauté si elles persistaient dans leur action. Une seule femme a osé les braver et a recueilli quelques milliers de voix ; mais elle a osé !! et ceci est une nouveauté qui mérite d’être soulignée.
Le Pr Liliane Vana insiste sur cette régression qui n’est pas à proprement parler par rapport au vote mais qui implique un retour à un enfermement des femmes, à nouveau interdite de l’exercice de fonctions communautaires, laïques, etc… et ainsi reléguées à leur « rôle » au foyer, un rôle qui n’est ni juif, ni halakhique.
Conclusions
Des avancées existent mais pas en France.
Des régressions également et le combat des femmes continue, car le leadership masculin dans les milieux orthodoxes (et consistoriaux en France) refuse toute réflexion sur ces sujets