Institut Universitaire Elie Wiesel

Compte-rendu Séminaire Judaïsme et Christianisme 2014-2015 - Séance N° 2

Séance n° 2

Département Judaïsme et Christianisme
Séminaire 2014 – 2016
« Masculin et Féminin dans les civilisations du Livre»

Séance du 11 décembre 2014

«L’Altérité féconde de la dualité du masculin et du féminin dans la Genèse »
Intervenant : Claude Birman

Compte rendu : Maryel Taillot

 

« L’Altérité féconde de la dualité du masculin et du féminin dans la Genèse »

M. Franklin Rausky, directeur des études à l’Institut universitaire d’études juives Elie Wiesel, présente M. Claude Birman, professeur agrégé de philosophie, et co-auteur d’un livre écrit avec Charles Mopsik et Jean Zackland, intitulé « Caïn et Abel – Aux origines de la violence ».

Claude Birman précise que lorsque Franklin Rausky lui a proposé de traiter ce thème du « Masculin et Féminin », il a été très intéressé dans la mesure où la question de la distinction et des relations entre le masculin et le féminin est l’une des grandes questions à propos desquelles les études bibliques lui ont apporté des éclaircissements qu’il ne trouvait pas ailleurs. Il ajoute que l’ouvrage collectif sur Caïn et Abel, lui a donné l’opportunité d’approfondir la pensée juive et la Bible et qu’auparavant il avait du mal, par exemple, à comprendre la Shoah. Selon lui et bien qu’étant agrégé de philosophie et normalien, la philosophie classique, moderne et contemporaine n’apporte pas les éléments de compréhension que la Bible donne sur certaines interrogations.

Il faut avoir compris et approfondi le chapitre IV de la Genèse pour saisir comment des « événements » comme la Shoah, peuvent se produire. On s’aperçoit alors qu’il y a déjà fort longtemps que des personnes s’étaient penchées et avaient redouté ce type « d’événements ». C’est pourquoi, la phrase de Spinoza « Les hommes se croient libres parce qu’ils ne savent pas ce qui les déterminent » est toujours d’actualité dans la mesure où ce que veut dire Spinoza est qu’effectivement pour être libre, il faut d’abord comprendre ce qui nous détermine. Seuls les mauvais étudiants concluent que Spinoza ne croit pas à la liberté.

                ? Dualité des sexes : Égalité ?

Claude Birman se souvient être allée poser la question de la dualité des sexes à son professeur de philosophie, s’interrogeant sur la raison pour laquelle en philosophie, on évoque toujours un être asexué, neutre. Il cite Catherine Kintzler qui parle de l’homme des droits de l’homme comme de l’homme tronc, de l’homme indifférencié. Il note que seul le souci de l’universel et de l’abstraction a une valeur ; Il faut mieux un universel abstrait qu’un différentialisme inégalitaire.

Pour illustrer son propos, il cite le film avec Antoine de Caunes « Un homme est une femme comme une autre », en ajoutant qu’une femme est un homme comme un autre. En effet, quand il s’agit de droit, on ne fait pas de différence. La différence synthétise le thème fondamental de l’égalité entre l’homme et la femme et le prix de cette conception, c’est l’abstraction. Comme le mot l’indique, une vision abstraite est mutilante, si on ne prend pas en compte les différences, on n’atteint pas la véritable signification de l’égalité. C’est ou l’un ou l’autre. Ou bien, les gens sont dans l’égalité abstraite, ou bien les gens font des différences et ces différences sont aussitôt pensées en termes de hiérarchie. Cette manière de penser ou de réagir ne se retrouve pas que dans le seul domaine du sexe ou du genre mais dans tous les secteurs :

- Prenons par exemple celui du travail dans un hôpital : la différence entre un médecin et une infirmière, il s’agit là d’une hiérarchie de pouvoir et pas seulement de compétences.

La véritable égalité ce n’est pas l’uniformité, ni l’identité, mais la complémentarité. La Complémentarité au sens que dans une équipe et bien que les gens soient différents les uns des autres, on a besoin de tous.  

A ce sujet et pour rester sur ce terrain un peu polémique, Claude Birman fait part de l’expérience qu’il a eue récemment lors d’un débat sur la laïcité. Il rapporte qu’un spécialiste de la laïcité voulant montrer le caractère rétrograde des pratiques religieuses, a cité pour étayer son propos :

- un verset du Coran disant que « la femme était soumise à l’homme »,

- un verset de Paul, disant que « la femme doit être soumise à l’homme »

- et pour la religion juive, il a cité le verset 16 de la Malédiction de Genèse III : « J’aggraverai tes peines et ta grossesse, tu enfanteras avec douleur et la passion t’attirera vers ton époux et lui te dominera ».

Et Claude Birman de faire remarquer que si les versets du Coran et de Paul étaient bien contraires au principe d’égalité prisé par la laïcité, ce n’était pas le cas du dernier verset de Genèse III. En effet, celui-ci ne cadre pas avec la démonstration voulu puisqu’il s’agit d’un verset qui dénonce un malheur et non pas un précepte.

Dans ce verset qui induit la formule « il dominera sur toi », on peut faire une lecture fataliste mais il n’est nul besoin de présenter ce verset comme un malheur, comme une malédiction à réparer qui se révélerait inéluctable. Certes, ce fatalisme a existé dans les mythologies et les religions antérieures à la Bible et, notamment, dans certaines traditions mésopotamiennes où les dieux créent les hommes pour les faire souffrir. Claude Birman appelle cela une pensée mythique. Il insiste sur l’atrocité de ce propos qui traduit que les hommes sont nés pour souffrir. Dans toute morale doloris, il y a un reste de paganisme : les dieux sont méchants. Mais, le paradoxe est que cette image apparaît comme réconfortante dans la mesure où elle explique la souffrance des hommes et les aide ainsi à supporter le malheur celui-ci étant fatal, inéluctable.

Dans ces conditions, une lecture fataliste de ce verset sous-entend une normalité au fait que les femmes soient soumises, qu’elles soient dominées. S’agissant d’une fatalité, on peut finalement y trouver un réconfort. Claude Birman cite une formule d’Adolphe Thiers, président de la IIIème République qui voulant faire cesser les grèves ouvrières, disait « les ouvriers doivent comprendre qu’ils sont venus au monde pour souffrir ».

                ? La dualité des sexes : Inégalité ?

Pour Claude Birman, la réparation est l’esprit général de la pensée biblique, c’est l’esprit de tycoun, non pas seulement de la réalité des malheurs de la condition humaine, mais aussi des mentalités qui accompagnent ces malheurs et, notamment, de la résignation à ces malheurs. Il avance que ce principe de réparation suffit à expliquer l’attractivité de la pensée biblique mais aussi son rejet, ce qui exclut toute neutralité. Il ajoute qu’ainsi vont se rassembler, se retrouver ceux qui espèrent échapper à ces difficultés de la condition humaine ou tout simplement lutter.

Il donne l’exemple des quelques mots prononcés par M. Lazarevic, otage, lors de sa libération et de son retour en France, disant : « qu’avant, il était libre mais qu’il ne le sentait pas », mais qu’en descendant de l’avion, « maintenant, il avait vraiment le sentiment de sa liberté ».

En entendant ces mots, Claude Birman a pensé au Dieu d’Israël qui représente cette liberté, ce goût de vivre, cette liberté humaine intérieure, c’est-à-dire l’essentiel de la condition humaine. D’ailleurs, la Bible nous invite à cultiver ce sentiment de liberté qui implique bien entendu l’absence de toute oppression tant sur les plans public que privé. Ce qui privilégie non seulement la fin de l’oppression mais l’émergence d’une complémentarité différenciée. Certes, la participation de chacun est recherchée mais cette participation n’est pas forcément identique, elle peut revêtir différents aspects.

Ce qui ressort comme étant le plus important, c’est le précepte de liberté, du vivre ensemble, de combattre à la fois la réalité de l’oppression et les mentalités qui s’en accommodent. C’est-à-dire en reprenant une formule ancienne : le despotisme et la superstition. 

Claude Birman met alors l’accent sur la difficulté suivante : comment prendre en compte la différence sans y mêler la domination ? c’est-à-dire la subordination. Pour lui, c’est un peu comme la question du multiculturalisme : à partir du moment où il y a plusieurs cultures dans une même société, il peut y avoir une hiérarchie, ce qui induit une inégalité, une communauté subordonnée à une autre….

Pour illustrer son propos, il cite un vieux proverbe algérien :

- Le colon frappe sur l’arabe, l’arabe frappe sur noir, le noir frappe sur le juif, le juif frappe sur le bourricot et le bourricot porte plainte.

Alors, si on revient à la constatation établie dès le début de l’exposé, c’est-à-dire il y a t il une différence entre l’homme et la femme, la difficulté évoquée est que différence veut dire inégalité. Il rappelle à ce propos, le racisme sud africain qui avait utilisé Sem, Cham et Japhet pour justifier une inégalité des hommes ou des races.

Les gens croient échapper à ce risque en se réfugiant dans l’abstraction mais il doit y avoir un moyen de prendre en compte la différence des genres sans ambiguïté et de manière complétement réparatrice à l’égard de toute volonté ou domination.

Or, dans la Bible, la domination est présente et ce, dès le début, dans la Genèse. Mais il s’agit de la domination sur la nature et non sur les hommes, celle-ci étant proscrite. Dominer la nature, expression reprise par Descartes, ne veut pas dire l’exploiter, la détruire, car par « dominer », il faut entendre être souverain, être responsable. La vraie domination est une responsabilité qui ne peut s’appliquer qu’entre êtres humains, en en qualité d’êtres pensants. Par exemple, la domination n’est pas de mise dans le cas de rapports entre hommes et enfants ; il s’agit alors d’autorité qui certes ne doit pas être abusive, et être proportionnée aux droits de l’enfant. Il ne s’agit nullement de domination.

De la même manière, sur le plan de l’autorité politique, celle-ci doit être étroitement contrôlée. Dans la Bible, le roi David règne mais au nom du droit, de la loi -cf le fameux passage du Livre II de Samuel qui précise qu’il ne pourra assurer ses fonctions qu’avec subordination à la loi- ce qui sous tend que l’autorité n’est pas abus de pouvoir. En revanche, concernant les rois de France et le droit divin, nous sommes en présence d’arbitraire.

Revenant sur la question du rapport aux enfants, comme à l’autorité politique dans le rapport des genres, Claude Birman précise bien il n’y a pas domination, il y a complémentarité. En France, il a fallu attendre le septennat du président Giscard d’Estaing pour que la notion de chef de famille soit élevée aux deux conjoints. On peut alors observer que parfois on diabolise les Églises et on idéalise les États bien que fréquemment dans l’Histoire, les États ont été plus abusifs que les Églises.

                ? La dualité des sexes dans la tradition biblique

On pourrait penser que la question se pose à l’apparition de la terminologie du masculin et du féminin. Dans le premier chapitre de la Genèse, verset 27 « Dieu créa l’homme à son image, c’est à l’image de Dieu qu’il le créa. Puis intervient la fameuse formule : « homme et femme il les créa » qui introduit la différence des genres et qui avec le pluriel aboutit à un verset un peu particulier. En hébreu, la grande difficulté de la lecture est ne pas lisser la phrase afin de tenir compte du fait qu’elle commence au singulier pour se terminer au pluriel.

Évidemment, il y a un rapport entre la fin du verset « homme et femme, il les créa » et le début qui apparaît ainsi dédoublé : « Dieu créa l’homme à son image et c’est à l’image de Dieu qu’il le créa ». Si on va directement à l’essentiel, l’une des conséquences de la lecture, est le rapport entre la distinction des genres et la ressemblance à Dieu. En effet, la dernière partie de la phrase induit la question suivante : Dieu lui-même est-il dédoublé ? Et si Dieu est dédoublé, alors il a une compagne et comment s’appelle la compagne de Dieu ?

A noter que dans les civilisations du Moyen Orient, certaines divinités dont Ashéra font l’objet actuellement de l’intérêt de chercheurs et sans remonter jusqu’à l’antique matriarcat, on peut se demander s’il n’existait pas au départ une dualité qui a disparu. Toutefois, ce raisonnement impose une certaine attention dans la mesure où si la dualité a disparu, cela peut être pour deux raisons différentes :

- L’une, plus simple, pourrait consister à l’instauration de la domination masculine ;

- L’autre, plus complexe, serait que la conception de la divinité s’est épurée de telle sorte que le Dieu de la Bible s’élève au-dessus de l’anthropomorphisme qui le représenterait sous une forme masculine et féminine ; forme masculine et féminine que l’on retrouverait dans la mythologie cabalistique où il y a une entité masculine et une entité féminine du divin.

Mais l’intérêt de l’analyse est qu’au fond, on peut lire le verset dans le sens où la ressemblance à Dieu « est ». Est-elle est dans le fait qu’il y a un masculin et un féminin ? Où dans le fait qu’il y a deux genres ? Pour Claude Birman, la ressemblance à Dieu se situe dans les relations entre les deux, entre le masculin et le féminin.

On ne dit pas qu’Il a créé le masculin et le féminin, on dit que « masculin et féminin, il les créa ». C’est sur ce « et » qui relie « masculin et féminin » que vient porter la ressemblance. Mais il ne s’agit pas directement d’anthropologie, de rapports entre les hommes et les femmes quand on dit masculin et féminin. Il y a toute une série de degrés. Les genres, sont d’abord des genres métaphysiques.

Comme le texte le dit plus loin « il n’est pas bon qu’un homme soit seul », c’est dans la relation entre l’homme, c’est en tant qu’existence humaine masculine et féminine que la relation peut se faire, que la ressemblance au divin peut s’effectuer. Il s’agit non pas seulement d’une égalité mais d’une complémentarité et d’une complémentarité essentielle puisque par elle la vocation humaine suppose une congruence entre ce qui est masculin et ce qui est féminin. Si on les sépare la ressemblance ou la dissemblance sont liés à cette alliance.

Si une séparation intervient dans les rapports entre masculin et féminin qui sont l’accomplissement de la ressemblance humaine, il y a inégalité. La domination de l’un sur l’autre est une forme de séparation, de divorce. Comme on le voit dans Genèse III et un midrash l’explique précisément c’est parce qu’Adam n’est pas là que le serpent a pu parler à Ève.

Au sens littéral du récit, le fait qu’Ève ait pu se laisser distraire ou suborner selon le Zohar, par le serpent, c’est parce qu’elle était seule et qu’à ce moment là ils étaient déjà séparés. Autrement dit la source du malheur est dans la séparation.

A ce stade de son exposé, Claude Birman agrémente son propos en citant le film de Stanley Kubrick « Eyes wide shut » qui est une illustration de cette situation puisque dès le départ il y a la séparation du couple qui va conduire l’un et l’autre à errer. Pour illustrer la relation entre deux êtres humains, et, notamment, celle entre l’homme et la femme, il utilise l’image du jeu de la corde dans lequel chacun tire de son côté mais si on coupe la corde, chacun tombe de son côté. En fait, nous ne tenons debout que par les relations qui sont entre nous et selon la formule de Saint-Exupéry « l’homme est un nœud de relations ». Parmi toutes ces relations humaines qui sont multiples : sociales, amicales, politiques, éducatives……., la seule qui s’avère fondamentale, est la relation fondatrice, féconde entre le masculin et le féminin. 

                ? Le masculin

Claude Birman précise qu’il ne faut pas rester à la surface des choses mais interroger les concepts et concernant le masculin et le féminin, on aboutit à deux problématiques : 

Tout d’abord, si on étudie les termes utilisés en hébreu, on s’aperçoit que les mots n’ont pas la même valeur qu’en latin. Le mot masculin, par exemple, se traduit en hébreu par zakhar ce qui présente une connotation avec le souvenir, la mémoire (zakhor : souviens toi). Cela veut il dire qu’être masculin, c’est avoir de la mémoire ? Non, bien évidemment. Avoir de la mémoire, c’est aussi l’idée du souvenir, du souvenir qui revient sans cesse, cf Le Shabbat « souviens-toi ».

Il y a différentes sortes de mémoire : la mémoire en tant qu’évocation du passé, mais c’est le degré le plus élémentaire de la mémoire. Concernant la véritable mémoire, il faut demander l’aide des grands penseurs, notamment, Bergson à l’époque moderne, et dans l’antiquité Platon. Platon avançait d’ailleurs que la vraie mémoire était non pas hypomnésis (la mémoire ordinaire) mais anamnésis dont on a tiré en français anamnèse. Pour lui, la véritable mémoire est de se rappeler de ce qui n’a jamais existé. Il introduit cette image pour traduire : « comment fait-on pour avoir une idée nouvelle ? ». En effet, pour Platon, penser c’est se rappeler, donc si on pense à quelque chose qui n’a pas déjà eu lieu, c’est qu’il faut penser à quelque chose qui a toujours été oublié. Cette approche bien que difficile est très éclairante et Claude Birman de citer le mythe : « avant de naître, l’âme sait tout » puis à la naissance elle oublie tout.

Ce thème platonicien se retrouve dans la religion juive puisque la tradition raconte qu’à la naissance un ange met un doigt sur la lèvre supérieure, là où il y a un petit creux, pour faire tout oublier, ensuite l’enfant doit retrouver, réapprendre tout ce qui a été originellement oublié.

Cette mémoire que l’on pourrait traduire comme étant la mémoire de l’immémoriale ou originaire, c’est-à-dire la mémoire de ce qui n’a pas eu lieu mais qui devrait avoir lieu. On est donc dans la question de la vocation humaine, de l’alliance, ou sous une forme plus concrète, de la fraternité. Ici dire que le masculin c’est zakhar, c’est dire que ce qui est masculin, viril représente la capacité à relancer, à remettre en quelque sorte à l’ordre du jour, à réactualiser la question fondamentale -tant qu’elle n’est pas résolue – le Dor Vador- de la réalisation de la vocation humaine, de la réalisation de la fraternité universelle.

Pour cela, il faut voir loin en avant, mais aussi voir loin non pas en arrière dans le temps, mais en quelque sorte, en profondeur dans l’immémorial, dans le fondamental, c’est aussi le sens classique du mot kédem, qui veut dire à la fois l’Est, l’Orient -le lieu de l’origine, le côté où le soleil se lève.

En fait, en parlant d’origine, il s’agit ici non pas de l’originel mais de l’originaire ; l’originaire, n’étant pas ce qui était avant, mais ce d’où provient en tout temps ce qui est neuf, ce qui est nouveau. C’est le verset des Lamentations « renouvelle nos jours –kékédem- qui est parfois traduit en « renouvelle nos jours comme autrefois ». Ce verset fait référence à la destruction de Jérusalem et donc au sens littéral le texte se présente comme le regret de ce qui a été détruit et le désir de reconstruire ce qui a été détruit. « kékédem », ne veut pas dire autrefois, mais renouvelle nos jours, notre existence, notre avenir à partir du virtuel. Donc ce qui a existé avant a été sorti de la matrice. La véritable mémoire, c’est la capacité de renouvellement radical, de relance d’une aventure : dans le texte biblique, ce qui correspond le mieux à cela c’est le départ d’Abraham qui relance l’aventure d’Adam après ses compromissions, l’échec d’Adam et l’insuffisance de l’aventure de Noé, troisième grand départ de l’histoire de l’humanité en tant que projet de civilisation.

Le texte nous précise zakhar, soit ce qui est masculin comme nous l’avons vu précédemment, peut être interprété comme relancer, et dans la tradition judaïque peut aussi être attribué à Moïse :

                - Lorsque Moïse au Buisson Ardent s’entend dire « Je suis le Dieu de tes pères et à tes pères je ne me suis pas fait connaître sous le nom par lequel je vais me faire connaître à toi ». La mission de Moïse est de recommencer ce qu’avait fait les Patriarches mais à un autre niveau. En effet, il ne s’agira plus de fonder une famille sainte mais un peuple saint et c’est une toute autre aventure. C’est à partir d’exemples comme ceux-ci que nous avons une détermination du masculin, une capacité de relance, de recommencement.

C’est pourquoi il est plus facile parfois d’élever une fille qu’un fils parce que, en passant d’un plan métaphysique à un plan anthropologique, et c’est éclairant car un homme ne peut se déterminer véritablement lui-même qu’à partir d’un recommencement radical. C’est pourquoi les parents doivent attendre que le garçon ait trouvé sa voie, pour lui dire : c’est ce que l’on attendait de toi. En effet, les parents ne peuvent pas savoir ce que les enfants doivent faire. Parce que ce qui relève de ce qui leur est propre, c’est une capacité d’inventer et par définition cela nous échappe. Nous attendons de nos enfants qu’ils trouvent eux-mêmes leur propre voie.

Le verset 4 du Décalogue « Tu honoreras tes parents », suppose pour les enfants de respecter leurs parents ce qui sous-entend qu’ils ne sont plus sous leur autorité. Tant que l’on est soumis à l’autorité de quelqu’un, on n’est pas son égal et par voie de conséquence, on ne peut pas l’honorer. La signification profonde de ce verset c’est cette respiration qui fait que chaque génération doit pouvoir prendre toute sa place. On doit attendre que la personne se soit trouvée elle-même, sinon on supprime sa liberté.

Il y a donc beaucoup de préjugés à combattre. Lorsque l’on parle de société patriarcale mais le patriarcat dans la Bible, ce n’est pas l’oppression bien au contraire, c’est la réparation de l’échec d’Adam et Ève, c’est la construction de la liberté.

2/ Le féminin

Pour différencier ordinairement le masculin du féminin, il faut passer par la littérature, par exemple, il y a un très beau passage en philosophie dans l’Émile de Rousseau qui est souvent mal compris, où il parle justement des femmes par opposition aux hommes. Rousseau évoquant la différence entre les hommes et les femmes, écrit « la différence entre un homme et une femme, c’est qu’une femme enceinte courre moins vite ». Rousseau fait cette supposition que dans la préhistoire, les hommes se nourrissaient en chassant les animaux à la course -les antilopes courent plus vite que les hommes mais moins longtemps-. Il s’avère donc qu’une femme enceinte ne pouvait pas chasser, c’est-à-dire rattraper l’antilope….

Mais attention, cela ne doit pas être considéré comme une infériorité de la femme. Chez Rousseau cela doit être considéré comme une distribution des rôles. C’est d’ailleurs ce qui se dit dans le verset 15 de Genèse II, quand Adam est installé au jardin d’Éden, puisque le verset se termine par : « l’Éternel, Dieu prit l’homme et l’établit dans le jardin d’Éden pour le cultiver et le garder ».

Il faut garder en mémoire qu’au paradis on travaille, le travail n’étant pas une malédiction –il peut y avoir une malédiction du travail quand celui-ci est pénible- mais une bénédiction. En quelque sorte, si la planète redevenait un jardin d’Éden, Adam en serait le métayer et nous, nous aurions pour rôle de l’entretenir, de le cultiver. Il y a une responsabilité de l’homme à l’égard de la nature.

Claude Birman met l’accent sur le fait que dans ce verset il y a les deux verbes avodah  et chmirah qui représentent la dualité masculin et féminin car au départ « avodah » c’est le labourage, et que le labourage soit l’image masculine apparaît évident. Ce qu’il faut comprendre c’est que l’image du féminin c’est la garde, ce qui traduit biologiquement est en relation avec la grossesse. On peut également observer qu’une autre forme de mémoire, est la trace gardée par femme de ce qui s’est passé entre un homme et une femme.  

C’est par le féminin que les audaces masculines vont pouvoir avoir des conséquences, et qu’en quelque sorte l’acquis va être préservé. Du point de vue du masculin, il y a intention, voire une intentionnalité car dans ce cas, l’homme va vers la femme. Mais c’est la femme qui devient enceinte et là il y a une dissymétrie. Mme Lhéritier avait souligné que cette dissymétrie était justement l’origine de la jalousie des hommes.

En fait, cette dissymétrie peut être considérée comme une dissymétrie entre deux formes de mémoire. L’anamnèse masculine est comparable au geste par lequel un homme va vers une femme mais aussi un geste par lequel un homme va à la chasse pour rapporter quelque chose de nouveau ; il va chercher à nouveau de quoi nourrir, alimenter, conforter son projet familial et social. Il y a donc cette relance, cette audace qui le conduit au loin pour ramener comme un oiseau la nourriture au nid.

En revanche, le coté féminin c’est la conservation de l’acquis à condition de prendre le mot conservation au sens classique –puisqu’au sens moderne depuis l’invention des boîtes conserves au 19ème siècle, conserver, c’est garder en l’état- alors que dans le latin de Spinoza conserver, c’est développer comme persévérer. Conserver son être dans la définition métaphysique de l’être, le « conatus », c’est servir avec, c’est-à-dire de se perpétuer, de se développer, de croître. De fait, la grossesse est une conservation au sens de préserver un développement, au sens de construire de l’avenir en passant par cette conservation. La garde de l’acquis, c’est comme la terre qui garde une semence et la fait germer. C’est une germination. De telle sorte que cette dualité entre d’un coté une sorte d’audace, d’élan vers le monde l’extérieur et de l’autre, un mouvement de garde, de conservation qui font que cette dualité est dynamique : son bras droit m’embrasse et son bras gauche soutient ma tête (Le Cantique des Cantiques).

? Le masculin et le féminin

Dans la tradition biblique, la droite c’est le masculin et la gauche c’est le féminin. Mais il n’y a pas de subordination. La gauche c’est ce qui permet que l’élan de droite ne se perde pas mais qu’il soit à l’origine de quelque chose de continue.

Par exemple, Claude Birman se souvient d’un ancien article de l’Encyclopédie Universalis, qui racontait que la différence entre un homme et une femme était dans la manière de marcher et que le comportement d’une femme est continu et ce n’est pas un hasard. Tout se rejoint dans la très belle phrase de Nietzsche dans « Ainsi parlait Zarathoustra », « le secret de la femme, tient en un mot : grossesse ».

En effet, cette disposition à la grossesse, cette capacité à la maternité prédétermine le féminin physiquement, biologiquement, anthropologiquement, métaphysiquement. La démarche d’une femme est souple et continue car elle est pneumatique, elle protège de manière anticipée la gestation ; alors que la démarche d’un homme est saccadé parce qu’elle procède à par brusques audaces, par relances.

Nous avons vu zakhar masculin mais nous n’avons rien dit de mitvah, bien que ce soit aussi dans mitvah  qui est un mot littéralement très cru, voulant dire troué dont l’étymologie est étendue à creux puis aussi à abri. Dans la démarche masculine, il y a quelque chose d’aventureux, alors que dans la démarche féminine, il y ajustement, cette dimension de protection, d’abri. Ce qui a été aventureux doit être protégé, ce qui a été lancé doit être repris et continué. On arrive ainsi à une véritable altérité qui est en même temps une complémentarité et qui est féconde. On peut se demander alors à quoi servent les initiatives, s’il n’y a personne pour les reprendre, si elles ne sont pas reçues. Elles sont perdues ; c’est la malédiction d’Oman, le fils de Juda qui jette sa semence. 

Fondamentalement, ce qui est masculin c’est de donner ; ce qui est féminin, c’est de recevoir. Ensuite cela engendre une dialectique car ce qui a été reçu, a été rendu, et ce qui est rendu, va pouvoir à son tour donné. Mais il faut voir cela au moins sur deux générations, car sur un plan anthropologique ce n’est pas la même chose du coté masculin, d’être père ou fils ; et ce n’est pas la même chose du côté féminin, d’être mère ou fille. Pourtant c’est lié. Si on prend les prend les trois premières lettres de l’alphabet :

- ALEF : le père

C’est l’image du père. C’est le chiffre Un, c’est l’initiative à partir de rien, l’audace. C’est la pensée de la décision ; quelque que soit la profondeur d’une délibération, elle ne contient pas elle-même la décision et on peut toujours continuer à délibérer. Il y a une transcendance de la décision : il y a un moment où Abraham part : Il écoute et il part. A ce moment là, il réactualise l’immémorial, il remet en jeu l’essentiel qui s’était perdu. Au départ le « ALEF », c’est le taureau. A l’origine, le dessin du « ALEF », c’est un taureau avec ses cornes, c’est cette puissance, ce débordement fondateur du masculin.

- BETH : la mère

Par opposition au taureau « Alef », le BETH, c’est la maison et c’est le chiffre deux, c’est l’union du masculin et du féminin, le foyer ; une femme veut toujours une maison, un foyer non pas pour arrêter le mouvement mais pour en assurer un mouvement continu comme dans la gestation. Par exemple, comme dans les rapports entre les hommes et Dieu, et les rapports et le projet de la vocation humaine, il y a ce rapport du masculin et du féminin qui est fondamental. Il faut qu’il y ait à la fois initiative et conservation et en quelque sorte développement de l’initiative.

- GUIMELE : le fils

Le chameau dans la Bible, est le symbole de la générosité, celui qui donne. Le premier pas vient du masculin –c’est la relance du projet- dans un deuxième temps, cette relance est reçue et cultivée et le fils, c’est le résultat. Or ici, le fils est défini comme capacité de donner. La réussite du projet humain c’est de créer des êtres capables de donner.

- DALETH : la fille

A tous les niveaux, il y a cette dualité du masculin et du féminin qui est fondamentale, c’est-à-dire la rencontre entre l’initiative et la conservation, le développement du projet.

La différence entre l’homme et l’animal selon Paul Valéry, est que l’homme a plus de puissance que de besoins. Les animaux eux, ont des capacités et des instincts proportionnés à leurs besoins. Un être humain de par le développement de son cerveau peut faire plus que ce dont il a besoin et c’est cette puissance de dons, c’est-à-dire profondément de responsabilité, d’attention aux autres, à l’avenir, aux projets.

Il y a donc quatre dimensions :

  • tout d’abord, l’originaire du côté du Alef et du sujet de la troisième lettre. En fait, pour aboutir à un être humanisé, il faut en passer par le masculin et le féminin : on aboutit alors au fils, puis on peut avoir la quatrième dimension, ce qu’on appelle dans la cabbale la fille ; c’est le daleth qui de manière idéographique a conservé le sens d’origine : daleth c’est l’ouverture de la tente. Ce que fait que le daleth signifie à la fois un manque, une ouverture, mais aussi la capacité d’accueil.
  • Comme entre le « ALEF » et le « BETH » on a une dualité, on va retrouver une dualité entre le « GUIMELE » et le « DALETH », mais cette dualité n’est pas la même. Dans la première dualité, il y a un croisement -cf la Bible- qui peut être représenté par Abraham et Sarah et Abraham part mais avec Sarah. Dans la Bible quand un homme part, il part toujours avec sa femme ; sa femme le garde, elle veille à ce que le projet aboutisse. Contrairement à l’initiative masculine qui est, d’une certaine manière discontinue. Si un homme se lance, son élan risque de retomber s’il n’est pas repris, conservé et encouragé.

Conclusion

En réalité, dans chaque être humain il y a une part masculine et une part féminine. Ici, dans un premier temps nous avons le masculin, cet élan, cette intentionnalité, cette parole de Moïse « un homme de la tribu de Lévy alla vers une femme » et si la femme accepte « d’entrer dans la danse », c’est une aventure commune, au niveau du Beth. Ils fondent et c’est pourquoi les hommes ont peur des femmes car pour un homme s’adresser à une femme, cela engage.

Le projet d’Abraham, le père, et de Sarah, la mère, est donc tout à fait fondamental. En quelque sorte Sarah porte le projet jusqu’à l’enfantement d’Isaac. Par contre, concernant Isaac, c’est autre chose puisqu’il a déjà un père et une mère. Isaac est dans une démarche de construction de l’avenir et pas de projection. Pour lui, ce n’est pas un projet, il est en train de vivre dans le combat quotidien pour établir sur terre le projet prophétique de relance de l’humanité de ces parents. Dans la tradition, on dit qu’en fait il n’a pas besoin d’être gardé, car le projet d’Abraham est tout à fait ouvert au monde, il ne reste pas indéterminé.

Dans la Bible, le moment de l’égalité entre l’homme et la femme est symbolisé par le renvoi d’Agar par Sarah, c’est-à-dire que Sarah a raison contre à Abraham, en disant qu’Isaac et Ismaël ce n’est pas la même chose. Là, est le féminin et cette image féminine est très bien illustrée par la fable de Nietzsche à propos du « doux et le dur », c’est-à-dire le dialogue entre les morceaux de charbon et le diamant. Le charbon dit au diamant pourquoi es-tu si dur, n’es-tu pas mon frère ? et le diamant répond au charbon : pourquoi si tendre, n’es-tu pas mon frère ?

Ici à la première génération, c’est le féminin qui est dure : Sarah est dure, alors qu’Abraham est tendre, bienveillant ; Sarah est discriminante, elle fait une différence entre Isaac et Ismaël. En fait, Sarah garde le projet, elle l’abrite, elle le détermine au sens de Spinoza qui dit que toute discrimination est une détermination. Contrairement à Abraham dont le projet d’Abraham est « ubi et Orbi » c’est-à-dire qu’il aime tous ses enfants, Sarah en  faisant une différence, recentre le projet.

A la première génération, il y a une tendresse du père et une rigueur de la mère ; à la deuxième génération, les relations s’inversent : car Isaac est dans la rigueur, il est le fils. Dans la Bible, il est écrit qu’il débouche les puits que son père avait creusés et que les ennemis avaient bouchés. Il maintient dans le monde, le projet de son père dans ce qu’il avait en un sens d’utopique qui doit pouvoir se faire une place au moyen de la générosité. Isaac est donc dans la rigueur, il se fatigue, il s’assèche et il a besoin que le féminin Rébecca, soit l’autre dimension, qui est non pas la rigueur mais la douceur, d’accueil, de réconfort. Elle le conforte dans l’intimité par rapport aux difficultés, à l’adversité à laquelle il se confronte dehors.

De telle sorte qu’en circulant entre les quatre pôles, on a une articulation des deux dimensions du masculin : l’élan, l’audace et la confrontation : Abraham représente l’audace et Isaac la confrontation. Il s’agit, comme dirait Hegel le principe et sa mise en œuvre. Faire un projet est une chose, le mettre en œuvre c’est autre chose, c’est le rôle du fils, de « Binian », le fils en hébreu. Le fils construit ce que le père a projeté. On reste donc du coté masculin.

Du coté féminin, la rigueur de Sarah qui a donné forme au projet d’Abraham va permettre à la génération suivante la constitution d’une douceur protectrice, d’une intériorité protectrice à l’égard de l’avancé du projet.

 

 



 

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