Institut Universitaire Elie Wiesel

Compte-rendu Séminaire Judaïsme et Christianisme 2014-2015 - Séance N° 1

 

Département Judaïsme et Christianisme,

Séminaire 2014 – 2016

« Masculin et Féminin dans les civilisations du Livre»

 Séance du 13 novembre 2014 »

« Ni Masculin, ni féminin, tous un dans le Christ »

Intervenant : P. Éric Morin

Compte rendu : Maryel Taillot

 

Ni Masculin, ni Féminin, tous un dans le Christ

Le Père Éric Morin remercie le père Thierry Vernet de lui avoir demandé de participer à ce séminaire en lui proposant de réfléchir sur un sujet aussi riche et qui s’inscrit dans les préoccupations de notre société.

Aussi, préalablement à tout développement, il nous invite à nous pencher sur des textes de Saint Paul car selon lui, l’objectif n’est pas de démontrer que Paul était misogyne, ce qui lui paraîtrait réduire singulièrement la portée de l’exercice. D’ailleurs, à ce propos, la recherche serait vaine, les informations existantes étant trop parcellaires.

Par contre, son objectif est de prendre les textes dans lesquels Paul parle de l’homme et de la femme et de réfléchir à la différence sexuée au sein de notre société et de nos communautés religieuses.

Le père Éric Morin présente les quatre textes de Paul que nous allons examiner :

  • Extrait de la Lettre aux Galates 3, 26-29 : l’unité des baptisés.
  • Extrait de la Lettre aux Corinthiens 11, 1-16 : la place des femmes dans les assemblées liturgiques est un écrit de circonstance mais tous les écrits de Paul sont des écrits de circonstance et ici la question se pose : les femmes doivent elles avoir, oui ou non, un voile pendant les célébrations liturgiques (la réponse sera oui, jusqu’à vers les années 1970/1980).
  • Extrait de la Lettre aux Corinthiens 14, 31-37 : La place des femmes dans les assemblées liturgiques (suite) : ce chapitre 14 apparaît bien contradictoire dans la mesure il est demandé aux femmes de se taire alors qu’au chapitre 11, il leur est demandé de prier et de prophétiser, donc de parler !
  • Extrait de la Lettre aux Éphésiens 5, 21-33 : les relations entre l’homme et la femme :« Soyez soumis les uns aux autres ; les femmes, à leur mari…. ». Ce texte est une véritable ouverture pour revenir au texte de la Genèse, et penser la complémentarité, la constitution de l’humanité avec des hommes et des femmes.

1/- Extrait de la Lettre aux Galates 3, 26-29 : L’unité des baptisés

« Car tous dans le Christ Jésus, vous êtes fils de Dieu par la foi. En effet, vous tous que le baptême a uni « au Christ, vous avez revêtu le Christ ; il n’y a plus ni juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni homme « libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus. Et si « vous appartenez au Christ, vous êtes de la descendance d’Abraham : vous êtes héritiers selon la « promesse ».

 

Commentaire du Père Éric Morin : ce texte est une réflexion de Paul sur la bénédiction faite à Abraham.

a/- « Être fils d’Abraham »

Dans ce texte comme dans plusieurs textes de l’Évangile ou de Paul, l’interrogation est portée sur : « qu’est ce que c’est que d’être fils d’Abraham ? ».

Cette question très débattue au Premier siècle, aboutissait à la conclusion suivante : On est fils d’Abraham soit, selon la position plutôt sadducéenne, parce qu’on est descendant selon la chair, ou soit selon une position plutôt pharisienne, parce que l’on est circoncis et qu’on pratique les mitvots.

Dans le Nouveau Testament, l’Évangile, Jean-Baptiste et Jésus interrogent : « des pierres que voici Dieu peut faire surgir des fils d’Abraham ». L’interrogation est donc qu’il n’est pas acquis d’être fils d’Abraham. Cette première affirmation qui apparaît au verset Ga 3, 6 -Abraham, le père des croyants- fait donc que les fils d’Abraham sont les croyants. Il s’agit là d’un texte majeur puisqu’il avance une première affirmation de la question de la foi. Peut-être que les connaisseurs de la religion juive pourraient trouver d’autres éléments qui permettraient de dire si déjà au premier siècle, dans la tradition juive, cette question de la foi était introduite dans la filiation d’Abraham ?

Puisque c’est par la foi qu’on est fils d’Abraham, on devient la descendance d’Abraham, on est héritier de sa promesse, et pour être fidèle au texte de la Genèse, on hérite de sa bénédiction. Être héritier de la bénédiction, de la promesse faite à Abraham, c’est entre autres choses, avoir accès au Dieu trois fois Saint ; c’est pouvoir lever les yeux et tutoyer le Dieu trois fois Saint.

Dans l’Évangile selon Saint Jean, quand Jésus titille ses interlocuteurs qui commencent à croire en lui, sur la question d’Abraham, il leur dit « la vérité, vous rendra libre » (Jn 8, 31). Ses interlocuteurs réagissent alors fortement, disant qu’ils ne sont pas des esclaves mais des descendants d’Abraham. La liberté dont il s’agit, c’est la liberté d’un citoyen de s’approcher du souverain. C’est la liberté qui est donnée par la bénédiction faite à Abraham de s’approcher du Dieu trois fois Saint. Paul va faire évoluer cette approche de la liberté qu’il va définir comme la capacité à transformer sa vie, à répondre à la vocation.

Dans ce petit paragraphe sur le baptême (Ga 27, 29), Paul réfléchit au baptême par lequel le croyant rencontre le Seigneur ressuscité sacramentellement, ce qui produit cet effet de bénédiction et d’incorporation à la filiation d’Abraham. Le Père Éric Morin insiste sur le mot « baptisé » qui veut dire plongé, immergé. Mais, souligne-t-il, Paul ne joue pas sur l’immersion en elle-même mais sur l’image de la sortie de l’eau quand la personne reçoit un vêtement traditionnellement blanc. En effet, à l’époque de l’Empire romain, un vêtement blanc était synonyme de citoyenneté, c’est-à-dire de liberté. Paul le dit de façon sacramentelle « vous avez revêtu le Christ, vous êtes un être renouvelé ». Ici, le vêtement vient caractériser la relation que l’on veut établir avec son prochain : s’habiller d’une façon ou d’une autre, traduit notre identité et la relation créée. Le disciple du Christa reçu cette liberté du Christ qui va caractériser toutes ses rencontres.

b/- « Il n’y a plus ni juif, ni grec, ni esclave, ni homme libre »

Cette transformation est effectuée par le baptême. Paul introduit une phrase « il n’y a plus ni juif, ni grec, il n’y a plus ni esclave, ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme ». Cette phrase vient, vraisemblablement de la liturgie même du baptême. On la retrouve par trois fois (Ga3, Col 3 et 1 Co 12). Pouvait-elle être chantée? Ou faisait-elle partie de la catéchèse ordinaire ? Ou d’une exhortation que le responsable de la communauté était invité à faire ?On n’a pas de réponse à ces questions mais cette phrase se retrouve à plusieurs occasions sous la plume de Paul pour parler de cette transformation qui advient dans le baptême et par laquelle on insiste pour dire que quelque soit la condition sociale -esclave ou homme libre-, quelque soit l’itinéraire spirituel, l’identité religieuse-juif ou païen-, une seule chose détermine notre relation au Dieu trois fois Saint, c’est l’expérience du baptême, c’est la personne de Jésus. Cela ne veut pas dire que notre condition sociale, notre identité humaine ont été effacée mais qu’elles ne déterminent pas notre accès à Dieu. Les juifs par la bénédiction faite à Abraham accèdent au Dieu trois fois Saint. Maintenant par le baptême, tous, nous avons accès au même Dieu, que nous pouvons appeler Père. La suite du texte va insister sur cette dimension paternelle.

 

c/- « il n’y a plus ni l’homme, ni la femme »

Cette traduction n’est pas la plus pertinente, Paul utilisant des adjectifs. La traduction devrait être « il n’y a plus ni masculin, ni féminin ». Si on se réfère à « esclave ou homme libre », il s’agit de conditions humaines qui peuvent évoluées, être modifiées, mais homme ou femme, masculin ou féminin, sont des caractéristiques pérennes, qui demeurent mais elles ne sont plus déterminantes pour avoir accès à Dieu.

Notre condition baptismale fait que tout homme et toute femme, de la même façon, peut appeler Dieu, Père. Cette unité, cette transformation est opérée par le baptême. En conséquence, la place de l’homme et de la femme est définie le baptême. L’important est que tous nous avons accès, homme ou femme, par la grâce du baptême, au même Dieu.

Les deux axes de la pensée paulienne, peuvent se résumer aux deux expressions suivantes : « Être en Christ » et le « langage de la Croix ». Le père Éric Morin estime que tous les éléments des écrits pauliniens mènent à cette approche et tournent autour de ces axes comme une ellipse. C’est ainsi que Paul parle de l’exécution des relations de l’homme et de la femme. En fait, il s’agit de l’expérience baptismale: « être dans le Christ ».Être masculin ou être féminin, ne change rien à notre appartenance au Christ.

 

2/- Extrait de la Lettre aux Corinthiens 11, 1-16 : La place des femmes dans les assemblées liturgiques.

« Imitez moi, comme moi aussi j’imite le Christ.

« Je vous félicite de vous souvenir si bien de moi, et de garder les traditions que je vous ai transmises.                 « Mais je veux que vous le sachiez : la tête de tout homme, c’est le Christ ; la tête de la femme, « c’est l’homme ; la tête du Christ, c’est Dieu.

                « Tout homme qui prie ou prophétise ayant quelque chose sur la tête fait honte à sa tête. Toute femme qui « prie ou prophétise dans avoir la tête couverte fait honte à sa tête : c’est exactement « comme si elle était « rasée. En effet, si elle ne se couvre pas, qu’elle aille jusqu’à se faire « tondre ; et si c’est une honte pour « la femme d’être tondue ou rasée, qu’elle se couvre. « L’homme, lui, ne doit pas se couvrir la tête, « puisqu’il est image et gloire de Dieu, et la femme « est la gloire de l’homme.

                « Ce n’est pas l’homme, en effet, qui a été tiré de la femme mais la femme qui a été tirée « de l’homme, et « ce n’est pas l’homme qui a été créé à cause de la femme, mais la « femme à cause de l’homme.

                « C’est pourquoi la femme doit avoir sur la tête un signe de sa dignité, à cause « des anges.

                « D’ailleurs, dans le Seigneur la femme n’est pas sans l’homme, ni l’homme sans la « femme. En effet, de « même que la femme a été tirée de l’homme, de même l’homme « vient au monde par la femme, et tout cela « vient de Dieu.

                « Jugez-en par vous-mêmes : est-il convenable qu’une femme prie Dieu sans avoir la tête « couverte ? La « nature elle-même ne vous enseigne-t-elle pas que, pour un homme, il est « déshonorant d’avoir les « cheveux longs, alors que, pour une femme, c’est une gloire, car la « chevelure lui a été donnée pour s’en « draper ?

 

                « Et si quelqu’un croit devoir ergoter, nous, nous n’avons pas cette manière de faire, et les Églises de « Dieu non plus. »

Commentaire du père Éric Morin :

Dans le commentaire précédent, nous avons vu que selon Paul, être homme ou femme ne changeait rien à notre appartenance au Christ. Pourtant 1 Co 11 introduit un élément discriminant concernant la place des femmes dans les assemblées liturgiques et qui se fonde sur la question du port du voile.

 

Or, dans le monde gréco-romain, les femmes n’ont accès à l’assemblée cultuelle qu’en étant parrainées par leurs pères, par leurs maris ou par leurs frères, c’est-à-dire parrainées par un homme quelque que soit le type d’assemblée liturgique.

Mais pour Paul, c’est le Christ qui par le baptême, parraine un homme ou une femme pour pouvoir participer au culte et être en présence de Dieu. Dans cette configuration, dans cette théologie, Paul nous fait tous égaux face à Dieu, sans distinction de sexe ou de statut social. Cette égalité est très importante pour comprendre l’organisation du culte bien que Paul ne se soit pas immédiatement préoccupé de cette question.

En fait, Paul a été amené à s’intéresser à la pratique du culte suite aux incidents survenus à Corinthe. Quand Paul fonde la communauté de Corinthe, il témoigne d’une grande liberté dans la mise en pratique des commandements. On retrouve, par exemple, des phrases comme : « ce n’est pas ce que nous mangeons qui nous rapproche du Seigneur » (1 Co 6, 13). Pour Paul, à partir du moment où nous sommes portés par le Christ, par le Père, ce n’est pas le menu de la table qui nous rapproche du Père. Ainsi, les usages qui découlent des prescriptions mosaïques sont relativisés et on revient à la question « qu’est ce que c’est que d’être fils d’Abraham ».

Parmi les usages juifs, il y a un usage particulièrement important qui est le port du voile ou d’un châle revêtu pour la prière, c’est le « tallit ».A Corinthe, Paul manifeste une grande liberté par rapport à cet usage, d’où la complexité du début du verset 1 : « Imitez moi, comme moi aussi j’imite le Christ. Je vous félicite de vous souvenir si bien de moi, et de garder les traditions que je vous ai transmises ». Mais, une fois le sujet introduit, le texte de Paul va devenir plus ambigüe relativement aux femmes : « C’est pourquoi la femme doit avoir sur la tête un signe de sa dignité, à cause des anges ».

Certes, la traduction se révèle incertaine mais concrètement, seules les femmes doivent porter le voile lors des assemblées liturgiques, c’est-à-dire se couvrir la tête. Cette demande ne s’adresse pas aux hommes. Les arguments avancés correspondent de part et d’autre de cet axe central masculin/féminin, pour conforter la décision prise par Paul :

 

a/- Arguments en faveur de la hiérarchisation de l’homme et de la femme :

« Mais je veux que vous le sachiez : la tête de tout homme, c’est le Christ ; la tête de la femme, c’est l’homme ; la tête du Christ, c’est Dieu ».

La difficulté réside dans l’interprétation du mot tête. Dans notre type de langage, le mot tête se réfère « au chef », « au commandant », à celui qui dirige. Dans la symbolique gréco-romaine, le mot « tête » signifie la vie, le principe de vie, étant la tête. Il ressort des paroles de Paul que : la tête de tout homme, de tout être humain, c’est le Christ. A l’intérieur de l’humanité, cette hiérarchie du Christ est reprise, il y a l’homme qui est la tête de la femme.

Mais tout homme qui prie, qui prophétise ayant quelque chose sur la tête, fait honte à sa tête contrairement à la tradition juive qui fait obligation à tout l’homme qui prie, prophétise ou prend la parole dans une assemblée, d’avoir la tête couverte.

Dans le monde gréco-romain, avoir quelque chose sur la tête était pour un homme, un signe d’homosexualité. C’est la raison pour laquelle Paul ne peut pas englober tout le monde dans la nécessité de se mettre un voile sur la tête. Il réserve donc cette obligation aux seules femmes :« toute femme qui prie ou qui prophétise sans avoir la tête couverte, fait honte à sa tête ». C’est comme si elle avait la tête rasée. « En effet, si elle ne se couvre pas qu’elle aille jusqu’à se faire tondre et si c’est une honte pour la femme d’être tondue ou rasée, et bien qu’elle se couvre ».Il convient d’observer que ces arguments sont avant tout des arguments de convenance et de culture qui contredisent l’argument théologique avancé précédemment par Paul sur l’égalité de tous face à Dieu.

 

b/Arguments scripturaire en Genèse – Chapitre II

« Ce n’est pas l’homme, en effet, qui a été tiré de la femme, mais la femme qui a été tirée de l’homme, et ce n’est pas l’homme qui a été créé à cause de la femme, mais la femme à cause de l’homme ».

Le Chapitre II du Livre de la Genèse raconte un processus d’humanisation :« L’être humain ne peut pas tout manger ; ne peut pas être seul ; il ne peut pas être avec le même, il doit quitter son père et sa mère et s’attacher à sa femme… ». C’est à la fin du Chapitre II que l’homme et la femme se retrouvent face à face, qu’ils se sont parlé, et surtout quand l’homme quitte son père et sa mère et qu’ils ne forment plus qu’une seule chair, qu’ils devinrent humains. La Genèse conte donc un processus d’humanisation et il n’y a pas à un moment un homme, une femme, il y a une histoire. Adam et Ève deviennent ensemble un homme et une femme.

Dans le texte de Paul 1 CO 11, 7-8, l’interprétation de Gn 2 fige ce processus d’humanisation. « C’est pourquoi la femme doit avoir un voile ». Le père Morin n’est pas convaincu par cette approche mais ce qui, à son sens, est le plus intéressant c’est que Paul aussi n’est pas convaincu.

Si on se reporte au texte qui traduit « D’ailleurs, dans le Seigneur la femme n’est pas sans l’homme, ni l’homme sans la femme », nous avons là un texte bien plus conforme avec le sens littéral de la Genèse. Puis, on s’aperçoit que les versets 11 et 12 prennent de la distance par rapport à l’interprétation précédente de la Genèse, avec même un peu d’humour « En effet, de même que la femme a été tirée de l’homme, de même l’homme vient au monde par la femme, et tout cela vient de Dieu ».

Finalement, Paul met le lecteur devant une question d’interprétation du texte biblique. L’autorité du texte biblique ne semble pas si évidente. En effet, il apparaît que les versets 7 et 8 ne font pas l’opinion de Paul, celui-ci est un peu contraint de les mettre en avant, et il donne à son lecteur des éléments lui permettant de prendre de la distance par rapport aux arguments.

 

Par contre, au verset 13 : « Jugez par vous-même, est-il raisonnable qu’une femme prie Dieu sans avoir la tête couverte ». On retrouve ici, la nécessité de prendre une décision : « La nature ne vous enseigne-t-elle pas qu’il est déshonorant pour un homme d’avoir les cheveux longs, alors que c’est une gloire pour la femme ». Mais cette distanciation est un fait de mode, c’est un argument de convenance, de culture, de société, d’autant que la conclusion est très claire « Si quelqu’un croit devoir ergoter, nous, nous n’avons pas cette manière de faire, et les Églises de Dieu non plus ».

Mais comment interpréter ces changements d’opinion ? Il faut savoir qu’entre le moment ou Paul est allé à Corinthe pour annoncer l’Évangile et le moment où il écrit ce texte, a eu lieu l’expérience du concile de Jérusalem. C’est-à-dire, ces rencontres entre les apôtres par lesquelles ont été prises un certain nombre de décisions organisant la vie de la communauté, composée des frères d’origine juive et des frères d’origine païenne. Mais les questions ne se sont pas toutes posées au même moment et dans le même lieu. Ces échanges ont donné lieu à des décisions sur la circoncision, la cacherout, … La doctrine n’a pas été définie en une seule fois et finalement, ce sont les Églises, c’est-à-dire les Communautés des environs de Jérusalem qui imposent à Paul l’obligation pour les femmes de porter le voile. Cette obligation est étayée par un certain nombre d’arguments contenus dans la première partie du texte, mais suivie par Paul avec un peu de recul, celui-ci demeurant lucide face à ces arguments mais ne voulant pas enfler le débat.

 

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Cette situation est très importante pour nous aujourd’hui dans la vie de nos églises, pour les débats qu’il peut y avoir dans nos paroisses sur la place des femmes. En effet, il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt, il faut se référer aux textes même si on se heurte à deux interprétations dans le livre de la Genèse qui peuvent paraître inconciliables. En fait, Paul nous oblige à prendre notre propre décision.

Éric Morin insiste sur le projet de Paul qui consiste à vouloir que les femmes prient, prophétisent et prennent la parole. En fait prier et prophétiser cela voulait dire prendre la parole devant l’Assemblée pour une prière spontanée. La difficulté repose sur le mot « prophétiser » qui peut vouloir dire selon certains textes soit, enseigner, prendre la parole de Dieu et l’expliciter mais selon d’autres textes, aussi présider l’assemblée. La seule certitude que nous ayons, est que Paul voulait que les femmes aient le droit de prendre la parole mais nous ignorons la nature ou le statut de cette parole. Selon la thèse de Marie-Françoise BASLEZ, les femmes pouvaient, selon la signification du mot prophétiser, présider l’assemblée. Mais là encore, ne nous abritons pas derrière un texte pour tirer des conclusions pour aujourd’hui.

Puis, le père Éric Morin, nous invite à nous reporter au texte suivant :

3/- Extrait de la Lettre aux Corinthiens 14, 31-37 : La place des femmes dans les assemblées liturgiques, encore !

« Vous pouvez tous prophétiser, l’un après l’autre, pour que tous en retirent instruction et réconfort. Les « inspirations des prophètes sont sous le contrôle des prophètes, car Dieu n’est pas un Dieu de désordre, « mais de paix.

Comme cela se fait dans toutes nos Églises, que les femmes gardent le silence dans les assemblées, car elles n’ont pas la permission de parler ; mais qu’elles restent dans la soumission, comme le dit la Loi. Et si elles veulent obtenir un éclaircissement, qu’elles interrogent leur mari à la maison. Car pour une femme c’est une honte de parler dans l’assemblée.

« La parole de Dieu serait-elle venue de chez vous ? Ne serait-elle arrivée que chez vous ? Si quelqu’un « pense être prophète ou inspiré par l’Esprit, qu’il reconnaisse dans ce que je vous écris un « commandement du Seigneur ».

Commentaire du père Éric Morin :

La première observation du père Éric Morin consiste à souligner la contradiction existante entre ce texte et tout le commentaire précédent. Dans ce texte ci, les femmes doivent se taire. Il n’est plus question pour elles de parler et de prophétiser alors que le chapitre 14 est un texte qui essaie de réguler la prise de parole dans la communauté en fonction des charismes des uns et des autres.

Le père Éric Morin précise que le mot prophétiser sous la plume de Paul, veut très certainement dire enseigner et que ces textes veulent appeler l’attention de la communauté sur la nécessité d’observer une certaine prudence lorsqu’il s’agit de prophétiser. Mais comment expliquer une contradiction aussi flagrante entre deux dispositions liturgiques qui de ce fait apparaissent inconciliables.

Cette situation provient de deux éléments factuels : les manuscrits en notre possession étant des copies de copies. Aussi, le paragraphe incriminé n’est pas toujours au même endroit selon les manuscrits en notre possession car il peut s’agir de notes marginales ajoutées au texte. Le père Morin propose donc d’interpréter ce paragraphe comme une gnose des années 70/80. L’important à garder en mémoire, est que le projet de Paul tend à ce que tout le monde prophétise : les hommes nus tête, les femmes avec un voile sur la tête.

En effet, La société gréco-romaine évolue considérablement entre les années 50 et 90, on change de génération. Le cœur des activités pauliniennes se situe entre les années 40-65, environ, dans une période d’évolution, de transformations de la société et la vie de Paul en est une illustration. Après les difficultés de l’empire romain, après la mort de Néron et de ces successeurs immédiats, la société se stabilise et les rôles des citoyens et de la communauté chrétienne se définissent. Ces bouleversements ont dû remettre en cause certaines convictions qui ont conduit à l’ajout de ce paragraphe. C’est ainsi que peut s’expliquer la contradiction du texte.

Ce texte nous oblige en quelque sorte à prendre position nous-même. Il n’est pas rare que la situation dans nos communautés fasse que nombre de femmes ne se sentent pas à l’aise puisqu’il peut arriver que l’on se base sur ces textes pour leur refuser la lecture. La mise ensemble des chapitres 11 et 14 devrait obliger les personnes qui se réfèrent à ces textes pour interdire aux femmes d’intervenir sous quelque forme que ce soit, à expliciter leur propre position restrictive sans se cacher derrière une analyse sujette à plusieurs interprétations des textes de la Genèse ou de Paul.

Le père Éric Morin note que le premier texte examiné qui annonce « il n’y a plus de masculin, ni de féminin » est théologiquement beaucoup plus déterminant que les autres. C’est la raison pour laquelle il a particulièrement insisté sur les foyers de la pensée paulinienne : « Être dans le Christ » et « il n’y a plus ni juif, ni grec, il n’y a plus ni esclave, ni homme libre, ni masculin, ni féminin… », et le langage de la Croix. Pour lui, c’est à partir de ces déclarations que les langages doivent s’organiser et s’articuler sur un plan liturgique, la préoccupation de Paul s’organisant autour de ces déclarations.

Éric Morin propose maintenant d’aborder le dernier texte qui est celui qui fait le plus polémique. La Lettre aux Éphésiens n’est pas la plus belle synthèse de la théologie paulinienne mais une de ses caractéristiques est de faire un pont avec la tradition johannique. Il rappelle qu’une certaine tension née entre les communautés johanniques et pauliniennes a fait apparaître le besoin d’une synthèse et la lettre aux Éphésiens fait partie de cet effort de synthèse. Cette lettre apparaît donc indispensable pour comprendre la suite du texte et notamment la phrase « pour le Christ, soyez soumis les uns aux autres ».

 

4/- Extrait de la Lettre aux Éphésiens 5, 21-23 : Les relations entre l’homme et la femme

« Par respect pour le Christ, soyez soumis les uns aux autres ; les femmes, à leur mari, comme au « Seigneur Jésus ; car, pour la femme, le mari est la tête, tout comme, pour l’Église, le Christ est la tête, « lui qui est le Sauveur de son corps. Eh bien ! Puisque l’Église se soumet au Christ, qu’il en soit toujours « de même pour les femmes à l’égard de leur mari.

« Vous, les hommes, aimez votre femme à l’exemple du « Christ : il a aimé l’Église, il s’est livré lui-même « pour elle, afin de la rendre sainte en la purifiant par le « bain de l’eau baptismale, accompagné d’une « parole ; il voulait se la présenter à lui-même, cette Église « resplendissante, sans tache, ni ride, rien de « tel ; il la voulait sainte et immaculée. C’est de la même façon « que les maris doivent aimer leur « femme : comme leur propre corps. Celui qui aime sa femme s’aime « soi-même. Jamais personne n’a « méprisé son propre corps : au contraire, on le nourrit, on en prend soin. « C’est ce que fait le Christ « pour l’Église, parce que nous sommes les membres de son corps. Comme dit « l’Écriture : A cause de « cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous « deux ne feront plus « qu’un. Ce mystère est grand : je le dis en référence au Christ et à l’Église. Pour en « revenir à vous, « chacun doit aimer sa propre femme comme lui-même, et la femme doit avoir du respect « pour son « mari ». 

 

Commentaire du père Éric Morin :

L’ensemble des chapitres 4, 5 et 6, c’est-à-dire la deuxième partie de cette lettre, a comme fil conducteur la vie baptismale. Qu’est-ce que la vie baptismale ? Comment change-t-elle notre vie, renouvelle-t-elle notre intelligence, nos pratiques. Par exemple, quand sous le coup de la colère, on ne se parle plus les uns aux autres. A laquelle répond une très belle phrase : « Ne laissez pas le soleil se coucher sur votre colère ». N’oublions pas l’autre très belle phrase : « Pardonnez-vous les uns les autres, comme le Christ vous a pardonné »ce qui fait immédiatement pensé à la phrase de Jésus, rapportée dans l’Évangile de Jean, aux chapitres 14 et 15: « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimé ».

Il nous propose d’aborder ces chapitres en essayant d’élucider, d’interpréter cette phrase du Seigneur : que veut dire« s’aimer les uns les autres, comme le Seigneur nous a aimé » ? L’amour du Seigneur Jésus est d’abord un amour de miséricorde et de pardon. Par sa mort et sa résurrection, il donne le pardon à l’humanité et lui donne l’accès au Père, par la voie du baptême. « Aimez-vous les uns les autres », c’est pardonner aux autres comme le Christ nous a pardonné. On est en présence d’un vrai acte d’élucidation et d’actualisation de la pensée du commandement du Seigneur Jésus.

Par respect des uns pour le Christ, soyez soumis les uns aux autres. Il faut interpréter de la même façon cette phrase « soyez soumis les uns aux autres », comme « aimez-vous les uns les autres ». C’est essentiel pour bien comprendre car en fait cela traduit -comme le Christ vous a été soumis- mais est-ce possible de dire que le Seigneur Jésus Christ nous a été soumis ? On peut simplement reconnaître que ce texte induit très fortement la Passion du Seigneur Jésus et le chapitre II de la Genèse, à la lumière de la mort et de la résurrection de Jésus. 

Enfin, se pose la question de l’origine de ce texte ; s’agit-il d’un texte de Paul ? Ou de l’un de ses disciples? On l’ignore. Mais on est dans une période de l’histoire où les rôles sociaux commencent à se poser et à se figer et à « soyez soumis les uns aux autres » comme actualisation d’« aimez-vous les uns les autres ». On distingue trois catégories de personnes qui sont visées par ce commandement.

 

a/ La première catégorie :

Il s’agit des parents qui disent, je ne vais quand même pas être soumis à mes enfants, et un peu plus loin, on aura « enfants obéissez à vos parents, mais parents n’exaspérez pas vos enfants ». 

Premier cas concret celui des relations enfants/parents, mais ce ne sont pas les parents qui sont soumis aux enfants. Mais il y a aussi « parents n’exaspérez pas vos enfants », ce qui relève de l’écoute, de l’attention. Or soumettre, obéir, c’est être dessous pour écouter et pour que la parole de l’autre s’impose à nous. On a donc là une piste pour avancer dans la compréhension.

 

b/ La deuxième catégorie :

 

C’est le type de relations humaines maîtres/esclaves où c’est un non-sens d’être soumis les uns aux autres. Depuis quand les maîtres sont-ils soumis à leurs esclaves ? Par définition, cela n’a pas de sens. Cependant, la question est traitée avec une réelle modernité puisqu’elle fait remarquer : maîtres, faites attention, vous êtes serviteurs du Maître qu’est le Christ. Quant à vous les serviteurs, sachez que quand vous obéissez à votre maître, vous obéissez au Christ. D’où le début de la spiritualisation de la condition sociale du serviteur, ce qui s’épanouira bien davantage dans la première lettre de Pierre.

 

c/ La troisième catégorie :

C’est celle des maris car il n’est pas possible d’envisager que les maris soient soumis à leurs femmes. Le texte va donc rassurer les maris et c’est pourquoi, il énonce en premier « les femmes à leur mari, comme au Seigneur Jésus Christ ». Le verbe soumettre n’est pas répété pour l’attitude spécifique des femmes. Ce n’est pourtant pas le cas dans la traduction liturgique. Et cela change le sens. Sur ce point, Éric Morin fait observer que chaque lecteur est responsable de sa lecture et de sa compréhension du texte ce qui ne peut conduire à exclure Paul de toute misogynie mais il est évident que les misogynes, par contre, ont abusé de cette formule.

 

Puis Paul argumente :

Pour la femme, « le mari est la tête tout comme pour l’Église, le Christ est la tête, lui qui est le Sauveur de son corps ». Puisque l’Église se soumet au Christ et bien qu’il en soit de même pour la femme envers son mari. Finalement, cette relation d’obéissance de la femme à l’égard de son mari, qui est socialement acceptée, permet d’introduire un élément, c’est la comparaison homme/femme, Christ/Église. Cela va permettre de revenir sur la relation du mari à l’égard de sa femme :« Vous, les hommes, aimez vos femmes ». Certes, la position est dissymétrique mais « aimez vos femmes à l’exemple du Christ qui a aimé l’Église, s’est livré pour elle ».

Pour le mari, Il s’agit là d’un exemple extraordinaire puisque le mari doit aimer sa femme comme le Christ a aimé l’Église et s’est livré pour elle. Le vocabulaire n’est pas symétrique, le niveau d’exigence posé est très fort. Puis on revient au baptême avec des éléments qui sont assez typiques concernant la cérémonie nuptiale. L’image de la préparation nuptiale est reprise pour dire ce que le Christ a fait pour son épouse, son l’Église ? Puis on revient à la relation homme/femme. C’est de la même façon que les maris doivent aimer leur femme, comme leur propre corps. Le texte insiste sur l’attention que l’on porte à son propre corps. Puisque les conjoints ne font plus qu’un, l’homme doit prendre soin de son épouse ce qui sous-entend pour l’homme d’avoir une attention toute particulière dans l’écoute et le respect qu’il doit témoigner à sa femme.

Malgré tout, cette approche demeure complètement inaudible pour l’auditeur, le lecteur du texte : il n’est pas possible d’envisager d’être soumis à sa femme. L’idéal est donc d’être soumis les uns aux autres. Pour que l’inaudible devienne envisageable, le texte se réfère au Christ et à ce que le Christ fait pour son Église. Nous avons ainsi l’image de la tête et du corps pour décrire le Christ et l’Église et l’image de l’époux et de l’épouse. Ces images se complètent et s’articulent, selon l’analyse faite par Urs Von Balthazar la réintroduction de l’époux et l’épouse redonne une image classique de la tête et du corps et par là même une altérité entre le Christ et l’Église, soit une dimension de vis-à-vis. A cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme.

Pour conclure, le père Éric Morin revient à l’interprétation de Genèse II qui est essentielle pour une bonne compréhension. La Genèse est un renvoi sur cette humanité faite d’hommes et de femmes qui ensemble, s’humanisent.

Toute la Lettre aux Éphésiens peut être considérée comme une relecture de Genèse II. En effet, il n’est pas bon que l’homme soit seul, il n’est pas bon que le fils soit le fils unique. Il reste Fils Unique et l’Éternel Engendré. Mais si on accepte de prendre aux pieds de la lettre, cette phrase compliquée cf Lettre aux Éphésiens 1, 22-23 qui est un peu la thèse de la lettre- « L’Église est le corps du Christ, lui qui est la Plénitude de son corps que Dieu remplit totalement ». Le Christ est présenté comme la plénitude de l’Église.

 

Dans la Lettre aux Colossiens, le Christ est la plénitude. Il n’y a pas de corps sans tête et donc si nous sommes un corps, il y a une tête qui donne la vie et cette plénitude de vie nous vient du Christ. La Lettre aux Éphésiens a l’audace de renverser cette proposition et d’annoncer : il n’y a pas de tête sans corps.

Le corps qu’est l’Église, est la plénitude du Christ. L’auteur de la Lettre aux Éphésiens a aussi sûrement en tête la phrase de Jésus : « si le grain de névé ne tombe en terre, il reste seul, mais s’il meurt et tombe en terre, il porte beaucoup de fruit, du fruit qui demeure ». Le projet du Père repris dans la Lettre aux Éphésiens, notamment, le chapitre Ier, est une méditation sur le projet de Dieu. La bénédiction spirituelle que nous avons dans le Christ dès le départ, c’est d’être sa plénitude, c’est-à-dire être cette multitude de frères qui donne au fils sa pleine stature. Cela ne veut pas dire qu’il était moins fils avant et qu’il n’est plus fils après, cela veut dire qu’il y a une surabondance de bénédiction spirituelle dans cette relation entre le Christ et son épouse : tête et corps.

La tradition johannique qui nous raconte le récit de la mort en croix du Seigneur Jésus avec le coup de lance, l’eau et le sang qui jaillissent du côté du Christ, Marie et le disciple bien-aimé aux pieds de la Croix, toujours compris comme une naissance de l’Église puisque Marie est invitée à une autre maternité,les disciples de son fils devenant ses enfants ; le disciple est appelé à ne pas être seulement disciple mais à être lui-même enfanté. A ce moment-là, il y a bien un enfantement qui se produit et c’est bien l’épouse du Christ sortie de son coté qui se tient en vis-à-vis de l’époux.

La Lettre aux Éphésiens poursuit ce récit de Genèse II revue de manière christologique : « l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme et tous deux, ils deviendront une seule chair ». C’est le texte le plus important pour notre sujet non parce qu’il est polémique, mais parce qu’il donne un cadre pour relire le texte de la Genèse dans une grande fidélité à la lettre. C’est bien un homme et une femme en vis-à-vis et qui sont tous les deux partenaires de leur chemin d’humanisation, c’est bien le Fils unique et son épouse l’Église qui sont en vis-à-vis pour une plénitude et dans cette plénitude l’humanité homme/femme est en voie d’humanisation.

Enfin, cette présence de l’homme et de la femme au sein de l’humanité et des communautés religieuses est le signe de cette altérité entre le Christ et l’Église, le sacrement, le mystère.

Cette humanisation et cette altérité forment le projecteur que la tradition paulinienne porte sur cette question de l’homme et de la femme.